Méditation Luc Forestier – 24/09/2020

La fête de saint Matthieu nous donne l’occasion de relire quelques versets essentiels de l’épître aux Éphésiens, avec l’erreur de traduction bien connue dans la version ci-contre, tirée de la Bible de Jérusalem. Au moment où l’Église et les Églises s’interrogent sur le ministère qui les structure, et le jour où nous fêtons un apôtre et un évangéliste, nous mesurons la précarité des textes par lesquels l’Église se nourrit de la Parole de Dieu qui, dans le christianisme, ne se confond jamais avec un livre. En effet, les lectures qui forment le matériau essentiel de la liturgie chrétienne sont le résultat d’un processus extraordinairement complexe, s’étalant sur plusieurs millénaires et impliquant des centaines de générations. Contrairement aux religions où la parole sacrée est dictée d’une manière ou d’une autre par la divinité, les Écritures du peuple d’Israël et de l’Église sont le fruit d’un processus inspiré d’écriture par de vrais auteurs. La familiarité avec tel ou tel évangile, par exemple, nous permet de percevoir le style propre à chaque évangéliste.

 

Et ces écrits, très variés dans leur composition, dans leur époque et le milieu de composition, ont été progressivement rassemblés dans un ensemble que l’on désigne aujourd’hui comme « Bible ». De plus, ces textes en hébreu, araméen puis grec bénéficient de nombreuses traductions, depuis le troisième siècle avant Jésus-Christ pour ce qui concerne l’Ancien Testament. Au fur et à mesure que le christianisme s’est implanté dans les différentes cultures du monde, ces textes ont été traduits dans un nombre croissant de langues, ce qui n’est pas sans effet sur le sens perçu par les auditeurs. Et tous ces textes ont été aussi commentés, tant à l’écrit qu’à l’oral, ce qui leste nos bibles d’un poids d’humanité qui n’a aucun équivalent dans d’autres grandes œuvres de la littérature mondiale.

 

La difficulté ne tient pourtant pas seulement à la traduction, et à l’histoire infinie des commentaires, mais au texte même, dont la transmission s’est effectuée avec les moyens techniques dont chaque époque dispose. Et, dans plusieurs cas, il y a de vraies incertitudes textuelles – même dans le Nouveau Testament – qui ne sont pas sans conséquences sur la signification globale de certains passages. Les bibles équipées d’un système de notes permettent de mesurer ces difficultés qui montrent à quel point le christianisme n’est en rien la religion d’un livre, mais la foi en une Parole qui, pour nous, prend chair en Jésus-Christ.

 

Pourtant, en Éphésiens 4, 11, c’est bien un problème de traduction qui affecte la Bible de Jérusalem : celle-ci laisse croire que les ministres des Églises bénéficient de dons particuliers de la part de Dieu, alors que le sens de la phrase grecque est plus radical. Les ministres sont donnés aux Églises ! L’accent ne porte donc pas sur la personne des ministres mais sur les communautés au service desquelles ils sont envoyés. Conservons donc cette traduction : « Et les dons qu’il a faits, ce sont les apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. » Et prions pour que, dans toutes les confessions chrétiennes, les ministres approfondissent leur vocation d’être donnés aux églises qui les appellent et les reçoivent. Il est en effet leur responsabilité qu’un texte, même incertain, devienne Parole vivante pour tous.

 

Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire à Paris