C’est aujourd’hui l’évangile selon saint Luc que nous entendons à la messe. Et nous sommes toujours en compagnie de Jean, le Précurseur. Le passage que nous lisons peut nous étonner quelque peu… De Jean on a dit qu’il est la fine pointe de la prophétie d’Israël. On a dit qu’en lui convergent, en quelque sorte, toutes les voix de tous les prophètes… Et voici que Luc semble nous montrer un Jean qui doute. En tout cas, un Jean qui se pose des questions. Il est vrai que l’espérance qui s’est forgée au cœur du Peuple Élu au long d’une histoire particulièrement éprouvante, est forte. C’est l’attente d’une authentique délivrance de tous les jougs qui se puissent imaginer.
On se souvient qu’au début de l’évangile (celui de Luc) Jean le Baptiste faisait un portrait du Messie qui le montrait sous un jour de puissance. Jean disait alors : « Moi, c’est d’eau que je vous baptise ; mais il vient celui qui est plus fort que moi et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l’Esprit saint et le feu ; il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier ; mais la balle, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas « (3, 16-18).
On comprend alors que la difficulté de Jean c’est celle de beaucoup : on en revient toujours à la question de la figure du Messie : à quoi ressemblera-t-il ? D’où viendra-t-il ? Comment agira-t-il ? Et chacun a son idée. Jean comme tous les autres : il décrit un Messie justicier qui exercera un pouvoir puissant et presque vengeur… Or comme chacun voit, ce n’est pas exactement la manière de Jésus. D’où une interrogation légitime puisqu’il correspond si peu à ce qu’on s’attendait à voir. Souvenez-vous seulement (dans le même évangile de Luc) des regrets des disciples d’Emmaüs : « Nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais… » (24, 21).
À vrai dire, Jean lui-même va devoir vivre une conversion de son espérance. C’est à dire qu’il va devoir accepter qu’elle soit comblée et honorée mais pas de la manière qu’il anticipait. Le Messie choisit une autre voie que celle de la force. Il prend le chemin des œuvres de miséricorde. Ainsi s’adresse-t-il aux disciples de Jean : « Allez annoncer à Jean ce que vous avez vu et entendu : les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi » Par là, le Seigneur reste dans la ligne de ce qu’il avait énoncé lors de sa prédication, en quelque sorte inaugurale, à Nazareth lorsque déjà il lisait le prophète Isaïe et le commentait en s’appliquant à lui-même la parole prophétique et en s’engageant sur ce chemin des œuvres de miséricorde. Comme le note un commentateur la réponse de Jésus à Jean et indirecte : « les six actes merveilleux qu’il énumère correspondent à l’année d’accueil par le Seigneur, le jubilé, qu’il avait annoncé lors de la prédication à Nazareth que l’on a déjà évoquée.
Le dernier élément de la réponse de Jésus peut surprendre : « Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi » : c’est qu’en effet on peut ne pas comprendre, et partant ne pas accueillir, le témoignage de Jésus. On passe alors à côté du salut qui est offert par lui. Jésus s’est parfois ainsi présenté comme une « occasion de chute ». C’est qu’en effet, son témoignage demande à être reconnu et accueilli.
Jean « ne trébuchera pas ». Il reconnaîtra Dieu à l’œuvre en Jésus pour tenir ses promesses. Du reste, dans les versets qui suivent (et qu’on ne lit pas aujourd’hui) Jésus de nouveau rend un hommage appuyé au Précurseur.
Et quant à nous, nous avons aussi toujours du chemin à faire pour accueillir le salut de Dieu offert en Jésus Christ. Nous avons toujours à nous convertir pour consentir à emprunter les chemins sur lesquels le Seigneur nous met. Et ils me semble qu’il est toujours difficile de se convertir à « l’humilité de Dieu » dont parlait si bien le Père Varillon. Il est difficile de se libérer des logiques si humaines de pouvoir et de force pour épouser les mœurs dont Jésus donne l’exemple. Le faire suppose d’ailleurs une vraie force intérieure ! Il ne faut pas confondre la « douceur » avec la « mollesse ». Tout au contraire la douceur s’exerce et ne peut s’exercer qu’au bénéfice d’une vraie force intérieure.
Encore un mot : cette méditation est la dernière de cette série. Nous avons été heureux de vous accompagner et de garder le lien durant cette période de confinement. Plaise au ciel que ce soit la dernière… ! Mais si d’aventure il en était besoin, nous serons au rendez-vous pour tirer le meilleur parti des contraintes du moment.
Pour l’heure, bonne fin d’avent à tous et à toutes !