Juste avant le confinement de novembre, quand les tournées étaient encore possibles, je profitais d’une escale au Mans pour visiter la cathédrale. Y sont exposées de vieilles stalles renaissance, sublimement sculptées, qui représentent la vie du Christ en 50 panneaux de chêne. L’une d’elles, à la lumière des évènements récents, a pris un sacré coup de jeune. Celle consacrée aux dix lépreux, reproduite ici.
On est happé par l’irruption soudaine de l’Histoire qui régénère de vieilles images ; par la façon dont les corps anciens viennent, à la manière des fantômes, imprimer les corps présents. On s’amuse des correspondances entre deux mondes que des siècles séparent. Sur dix lépreux, l’un, rebelle, refuse de mettre son masque ; l’autre, au nez émergeant, un peu nigaud, n’a visiblement pas compris comment le porter.
La vision de ces lépreux masqués que masqués nous contemplons crée instantanément une familiarité, un temps partagé, une destinée commune.
Aujourd’hui tous lépreux ? Oui, selon Barbara Stiegler qui, dans son dernier essai, écrit que nous vivons tous en Pandémie, comme on vit en tel ou tel pays. En Pandémie, tout le monde est malade. Il y a les malades au premier sens du mot, ceux qui souffrent du virus, en meurent parfois, mais aussi ceux qui sont malades de l’enfermement, de la précarité, de la faillite, de la terreur de contaminer, de l’interdiction de circuler, de l’impossibilité de se réunir, de ne plus faire famille, de la fermeture des théâtres, malades des cours en visio, des perpétuels reports, des soirées obscures. En pandémie, nous présentons tous au moins l’un de ces symptômes. Voilà pourquoi les lépreux de ce panneau deviennent si familiers. On en oublierait presque le Christ qui leur fait face. Présence moins évidente pour les hommes de notre temps que celle du virus. Et pourtant à lire la Bible, jonchée de malades et secouée d’épidémies, où il y a des souffrants Dieu vient toucher les plaies.
David Wahl
Image (c) David Wahl