Les douze mois que nous venons de vivre ont bousculé nos habitudes jusqu’à parfois bousculer notre démarche de foi – et comment pourrait-il en être autrement lorsque pour la première fois nous découvrons une vie spirituelle sans célébrations dominicales, une vie avec une distance nouvelle avec le Seigneur ? La « vie d’avant » est d’une certaine façon revenue mais cette distance a pu s’installer. Nous redoutons cette distance pour les autres – que deviennent les paroissiens que nous ne voyons plus ? – mais nous la craignons aussi pour nous-mêmes et tentons de réagir. Nous nous accrochons, nous voulons forcer un retour à Lui, nous voulons faire tenir l’édifice de nos vies spirituelles, nous revenons aux célébrations avec quelques doutes supplémentaires, sans savoir si la présence au Tout Autre renaîtra, si ce lien qui date parfois de notre enfance retrouvera sa solidité. Bien souvent nous voulons maitriser ce lien, penser comme le sportif à l’entrainement que les années de pratique, la reprise du rythme habituel, la volonté ancrée au plus profond de nous suffiront à redonner force à notre musculature spirituelle. Mais voilà que cela ne fonctionne pas comme nous l’avions imaginé, on détricote plus vite qu’on ne tisse. Alors que faire ?
Peut-être pouvons-nous commencer par cela : accepter simplement que les retrouvailles avec le Seigneur puissent ne pas avoir lieu au moment que nous voulons, que Lui ou nous ne soyons présents à ce moment précis pour nous retrouver. Et si le temps d’un Carême, nous abandonnions l’idée de maîtriser notre croissance en Christ – l’enfant qui naît se soucie-t-il de grandir ? – et décidions de le laisser œuvrer ? Dom André Louf, moine et figure spirituelle marquante du siècle dernier ne demandait au Père rien de plus: « Consentir Seigneur à être ton ouvrage, à n’être que cela: l’ouvrage que tu construis patiemment avec les débris des chefs-d’œuvre de nos rêves». Car seul le Seigneur façonne l’ouvrage que nous sommes, avec et par-delà nos moments de doute et nos tentatives de revenir à Lui.
Acceptons pour une fois de ne pas être seuls aux commandes. Soyons confiants que si le lien ne se retisse pas assez vite, le simple fait de le remarquer est la preuve que la foi est toujours là, malgré tout, et qu’il ne faudra qu’un souffle, le sien, pour qu’une brindille encore ardente ravive le feu.
En ce temps de Carême puissions-nous trouver le chemin d’humilité et la disponibilité de cœur qui le laisseront venir à nous, au temps voulu des retrouvailles.
Bon Carême à tous!
François Perrot, paroissien