C’est une belle et suggestive tradition qui veut que, lors de leur Pâque, ceux qui ont été ordonnés pour le service au nom du Seigneur, soient tournés vers ceux-là et celles-là mêmes qu’ils ont servis. De sorte que, aujourd’hui encore, George est tourné vers nous, lors même que nous sommes rassemblés autour de lui. Il est tourné vers nous, vers nous tous et vers chacun, chacune, comme il l’a toujours été. Tourné vers cette assemblée de gratitude que nous formons – assemblée eucharistique si vous voulez : cela signifie la même chose. Et j’ai eu plaisir à lire les mots de Federico et que Delphine nous a lus tout à l’heure et qui rappelaient combien George « a eu à cœur l’Assemblée eucharistique dans toute sa complexité », combien « il a essayé de la protéger et de la renforcer ». Mais outre la complexité – si réelle – de l’assemblée eucharistique, il y a aussi son extension. Ainsi, lorsque je dis que George est tourné vers « nous », je n’oublie pas combien il aimait cette grande porte vitrée du transept sud qui, notamment durant nos liturgies nous rappelle tout ce qui se passe dehors…tous ces gens qui ne sont pas avec nous, qui n’en n’ont pas envie ou qui tout simplement n’y pensent pas du tout… mais qui ne nous sont pas étrangers. George n’était pas seulement le pasteur « dans les murs » mais aussi un pasteur « hors les murs » ! Sans cesse il nous rappelait notre horizon de fraternité véritable : non pas une fraternité de l’entre-soi qui aurait vite fait de s’affadir et de ne plus enrichir personne mais une fraternité de l’accueil et de la rencontre – j’y reviendrai à l’instant.
George ce matin repose au milieu de nous, au centre de notre église. La sublime église Saint-Eustache qu’il a regardée si souvent, si attentivement et qu’il connaissait si bien. On l’appelle parfois la « cathédrale des Halles »… et chacun sait que George n’était pas un grand fan de la formule… « Il ne faut pas dire ça ! » grommelait-il parfois… Peut-être craignait-il simplement que la majesté de ce magnifique édifice ne nous égare en nous faisant nous voir plus grands que nous ne sommes réellement, ou encore que le soin des pierres n’accapare trop d’énergie au détriment d’autres tâches… Et pourtant cette église il l’a aimée ! Tant et si bien que c’est lui qui a voulu que lui soit consacré un livre qui trouvât sa place dans la belle collection dirigée par son ami Mgr Doré. C’est à George que l’on doit l’existence de ce magnifique ouvrage qui porte le beau titre de « La Grâce de Saint-Eustache »… Mais alors cette grâce, quelle est-elle au fond ? Pour répondre (au moins partiellement !) remettons nous dans l’oreille les textes que nous avons entendus à l’instant :
Nous avons entendu proclamer deux lectures : le cantique de l’épître aux Philippiens ainsi que le récit du lavement des pieds. Deux figures se détachent : Paul d’abord, qui nous livre dans son texte une magnifique contemplation du Messie serviteur. Pierre ensuite, qui résiste à l’initiative de Jésus de prendre la place de l’esclave et de laver les pieds de ses disciples. Ces deux-là ne se ressemblent guère… Pierre et Paul. Ils n’ont pas toujours eu des relations faciles. Mais ils ont un gros point commun : l’un comme l’autre ont dû opérer une conversion radicale de leurs attentes religieuses les plus profondes. Ils ont dû convertir radicalement leur espérance messianique. Comme beaucoup de leurs contemporains, ils attendaient un Messie Sauveur qui aurait remis le monde en ordre « à main forte et à bras étendu »… Mais ils ont bien dû finalement reconnaître en Jésus, certes, le Messie promis mais qui prenait de tout autres chemins : le chemin de la douceur, de la rencontre, de la parole échangée et finalement du service. Tant et si bien que c’est dans sa manifestation comme serviteur qu’il révèle le plus profondément ce qu’il est. Plus encore : aucune autre option n’est laissée à ses disciples que d’emprunter les chemins arpentés par le Maître. Il suffit de citer saint Jean : « Vous m’appelez Maître et Seigneur et vous dites bien car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous ». (Jn 13, 13).
Et s’il est un qualificatif qui revient constamment pour parler de George, c’est bien celui de « serviteur ». Il n’a pas cessé de mettre en œuvre cette grâce du service qu’elle se décline dans les plus humbles tâches matérielles, l’accompagnement des personnes, le discernement de toutes sortes de situations ou l’exercice des responsabilités si variées (et nombreuses !) qui incombent à un curé.
Si nous souhaitons garder quelque chose qui serait comme un « testament spirituel » de ce serviteur que fut George, il me semble que c’est assez simple. Chacun aura ses propres mots mais j’en retiens ici quatre. Le premier c’est « Welcome !», « bienvenue ! ». Celui-là c’est le plus évident. On l’a entendu si souvent : au début de nos célébrations bien sûr, ou, plus encore, lors d’évènements comme la nuit blanche ou les 36 heures… Ici George l’aura prononcé des milliers, des dizaines de milliers de fois…accompagné d’autant de poignées de mains qui lui laissaient le poignet en compote. Non pas un mot en l’air mais un vœu d’accueil plein et entier, absolument sincère. Juste un souvenir : on se souvient de ces deux jeunes intrigués par la musique qu’ils entendaient lors des 36 heures et qui se risquaient à entrer dans l’église (c’est à dire en terre inconnue !) pour en avoir le cœur net… George était là pour eux : « Bienvenue à Saint-Eustache ! Vous êtes chez vous ! »… Ou bien on se souvient aussi d’un jour où George avait prêché, précisément, sur l’accueil qui comptait tant pour lui. L’assemblée qui l’écoutait était tellement au diapason de son message qu’elle y a répondu… en l’applaudissant ! « Welcome ! », « Bienvenue ! » Gardons ce premier mot qui esquisse déjà une attitude intérieure autant qu’il induit toute une logique de relation à autrui. Et pour la bonne forme je me crois obligé d’ajouter (ou de redire) que George ne se contentait évidemment pas d’attendre sur le pas de son église qu’on vienne y entrer… Il allait vers les autres… Oh combien ! Les « périphéries » comme on dit aujourd’hui, il connaissait.
Un deuxième mot : « s’il vous plaît », « s’il te plaît »… Combien de petits services ou d’engagements plus substantiels demandés ou suscités avec discrétion, courtoisie… sans « coincer l’autre » ni lui forcer la main mais en lui donnant à connaître que l’on attend vraiment quelque chose de lui ou d’elle… Et combien de réponses positives et d’engagements parfois de poids grâce à cette sollicitation respectueuse et délicate.
Un troisième mot : « pardon »… Ce mot est inévitable lorsque l’on chemine ensemble et que l’on veut construire ensemble. Doté d’un tempérament bien trempé et peu enclin à céder du terrain facilement, George savait néanmoins honorer les temps et les moments où une parole de pardon devait être posée. Et chacun d’entre nous le sait d’expérience, ce n’est pas rien… ! Ce n’est sûrement pas l’exercice le plus facile.
Last but not least, un dernier mot : « Merci »… C’est le quatrième de ma petite liste, mais c’est aussi – je pense – le deuxième grand mot de George… Faut il y insister ? C’était un mot de tous les instants…pour le moindre des services rendus, la moindre attention manifestée… Chacun et chacune d’entre nous fera le compte… (ça risque de prendre un moment !)
« Bienvenue », « S’il vous/te plaît », « Pardon », « Merci ». Quatre mots si simples… à la portée de tous. Quatre mots qui disent tout un art de se faire serviteur et peuvent encourager à le pratiquer. Quatre mots qui esquissent un art de construire une possible fraternité et peuvent aider à s’y engager. Voilà – me semble-t-il – qui est de nature à susciter pas mal de reconnaissance !
Aussi bien, quant à nous, heureuses et heureux bénéficiaires du service de ce pasteur et de ce frère, ce que nous pouvons souhaiter à George dans notre prière aujourd’hui c’est « Farewell ! », « À Dieu ! » … Peut être que nous aurons envie d’ajouter : « Remain with us ! », « Ne sois pas trop loin ». Mais par dessus tout c’est certainement « Thank You ! »… « MERCI”
Homélie du Père Gilles-Hervé Masson.