C’est la devise des chartreux, les hommes du grand silence. Elle peut se traduire par : « La croix demeure dressée tandis que le monde va sa course ». Comme on sait, le latin est imbattable pour la concision ! Et c’est cette croix que très bientôt nous vénèrerons et adorerons au cœur de la Semaine sainte. La croix : don de soi du Seigneur, arbre de vie dont le fruit est l’espérance que nous portons.
Si nous jetons un regard rapide en arrière, nous nous souvenons qu’il y a deux ans, nous étions claquemurés, chacun chez soi, ne comprenant pas très bien ce qui nous arrivait. Nous étions séparés les uns des autres et – notamment – privés des célébrations pascales. Un an plus tard, les choses allaient un peu mieux mais étaient toujours sous haute surveillance. Les contraintes étaient si nombreuses que célébrer normalement n’était toujours pas d’actualité. A présent, il semble que, comme toutes les pandémies, celle qui a frappé la planète aille s’affaiblissant et que, grâce au travail des scientifiques et aux protections qu’ils ont mises à la portée des populations, on sorte enfin du tunnel. Mais sitôt entrevue une sortie de crise, c’est la guerre qui éclate à nos portes. Et qui dit guerre dit mort, destructions, vies brisées, liens rompus entre les personnes et les peuples, confiance violée et à reconstruire à grand-peine sur des générations et des générations…
La croix demeure parce que sans cesse le malheur frappe, sous tant de formes différentes : crise sanitaire ou génie tout humain du mal, de la haine et de l’anéantissement de l’autre corps et âme. La croix demeure parce que nous faisons sans cesse l’expérience perpétuellement renouvelée et si protéiforme de la souffrance et du malheur. La croix demeure parce qu’aucune de ces souffrances ni aucun de nos maux (personnels ou collectifs) n’est étranger à Celui qui « donne sa vie » pour que « nous ayons la vie en abondance ». La croix demeure parce qu’elle dit que le remède à tous les maux que nous pouvons connaître ne peut être que le don, le service et l’amour à fonds perdus. Aucun geste n’est trop petit ni insignifiant s’il est porté par une intention de bien.
Ainsi regardons-nous la croix non comme un arbre de mort mais comme le don souverain de celui qui a dit : « Ma vie nul ne la prend mais c’est moi qui la donne ». Le même qui invite ses disciples à imprimer à leurs existences semblable logique de don de soi et d’attention au prochain, en toute circonstance et particulièrement dans les moments de plus grande adversité.
Un dernier mot, en forme d’invitation : tous ces jours ci nous pourrons penser à nos frères et sœurs orthodoxes qui, peu après nous, célèbreront la Pâque. C’est peu de dire que tous auront les yeux embués par les larmes de la guerre qui met à mal la communion des Églises elle-même. Tous nous partageons la même foi (il ne faudrait pas l’oublier) et tous nous confessons le même Seigneur ressuscité. C’est lui qui, « ayant aimé les siens jusqu’au bout », nous atteste que la vie est plus forte que la mort. Que sa croix est semence de vie.
Père Gilles-Hervé Masson, vicaire, prêtre, dominicain.