Les vœux du curé. Je dois vous avouer que j’aime peu cet exercice qui a été initié par mon prédécesseur le Père Luc Forestier. Mais à bien y penser, ces vœux constituent peut-être ce moment où le curé doit rendre compte aux paroissiens de sa mission de pasteur. Cette mission, il faut le dire, il ne l’exerce pas indépendamment de l’équipe des prêtres, de l’Équipe pastorale, du Conseil paroissial, et des membres du Diocèse qui l’entourent. Dois-je rappeler que le pasteur qui vous est donné comme curé, est un oratorien – les 100 ans de l’Oratoire à Saint-Eustache. À ce titre, il est normalement très attaché à la contemplation de l’incarnation du Verbe. Il est également très soucieux de l’articulation entre foi et culture.
Justement et à propos du mystère de l’incarnation du Verbe, l’évangile de saint Jean constitue pour lui un support incontournable. Partout dans cet évangile, nous trouvons la proposition selon laquelle l’humanité du Christ a une signification éternelle. Dans le récit que nous venons d’écouter, cela se manifeste tout d’abord par la conjonction de deux propositions : « avant moi il était » et pourtant « je ne le connaissais pas ». Le « avant moi, il était » pourrait être traduit comme suit : avant la propre humanité de Jean le Baptiste, il est une existence que celui-ci ne connaissait pas et qui maintenant lui est révélée sous la forme d’une réalité pleinement humaine. Jean le Baptiste découvre une nouvelle humanité, et il lui donne un nom : « Agneau de Dieu ». Ce nom rappelle explicitement l’origine divine de celui qui est baptisé. La nouvelle humanité que Jean le Baptiste découvre dans Jésus est intrinsèquement liée à la préexistence du Fils décrite dans le prologue. L’expression « Agneau de Dieu » est unique dans la bible. Elle est réitérée par l’évangéliste Jean quelques versets plus loin, à propos de l’appel des disciples. L’appel des disciples est motivé par la désignation de Jésus comme « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». Ce qui était révélation pour Jean le Baptiste au moment du baptême du Christ, ce qui était un « voir » devient un « suivre » non pas simplement Jésus, mais le Fils de Dieu en tant précisément qu’il est devenu homme.
Suivre le Fils de Dieu en tant précisément qu’il est devenu homme. Il faut le dire, l’Église devra toujours renouveler cette mise en suite : le Christ, et particulièrement son humanité à lui, aura toujours une signification éternelle pour notre humanité (Karl Rahner) et pour toute l’histoire de l’humanité. Et c’est cette humanité que nous sommes appelés à suivre, et ceci, dans tous les temps, toutes les époques que nous devons vivre. Le motif du synode voulu par le Pape s’inscrit dans cette démarche, cette mission de l’Église. Mais ce synode est entrepris dans des temps si particuliers : l’urgence de la question écologique, des équilibres géopolitiques radicalement remis en cause, la montée des nationalismes et des populismes, la crainte des épidémies, le développement de la pauvreté économique et sociale, et enfin, selon l’expression du Père Luc Forestier, un catholicisme qui, face à toutes ces réalités brûlantes, et face encore aux scandales qui le traversent, se trouve sous pression. Tout ce qui, jusqu’il y a peu de temps encore, faisait sens, est soumis à un dérèglement, au point même que les fondamentaux qui étaient à la source de ce faire-sens, sont également questionnés, voire remis en cause. J’ai parlé tout à l’heure de la nécessité pour le chrétien d’être en chemin. Oui, le déroulement de ce synode engagé par le Pape depuis octobre 2021 est troublé, non seulement par les crises sociétales que nous traversons, mais aussi par des tensions très fortes au sein du catholicisme. Les sources principales de ces tensions sont :
1/ un espace mondial où les valeurs sociétales, culturelles, politiques, se diversifient sensiblement, voire entrent en opposition, alors même que l’Église catholique a tout cet espace mondial pour terrain de mission ;
2/ la difficulté à penser, dans le cadre de la gouvernance, un bon équilibre entre synodalité et verticalité ;
3/ La question du célibat des prêtres et la possibilité d’étendre le sacrement de l’ordre aux femmes. Ce dernier point est vraiment conflictuel. Pour le comprendre, il suffit de lire le livre du Cardinal Sarah, Des profondeurs de nos cœurs, où nous trouvons cet appel adressé au Pape à ne pas changer la forme du ministère presbytéral. Nous nous trouvons dans la situation d’une forme insuffisamment pensée du sacerdoce presbytéral. En matière de théologie du sacerdoce, le Concile Vatican II pense trop peu. Je rappelle également que le même cardinal Sarah soutient la proposition de ne pas étendre les nouvelles valeurs familiales de l’Occident aux autres cultures. Une chose est sûre, l’avenir de l’Église, notamment en Europe sera difficile : évoluons-nous vers une division entre différents courants catholiques ? À mes yeux, plusieurs choses sont sûres. Ni un pur intimisme religieux (Jésus ou Marie pour moi) ni un pur ritualisme liturgique ne pourront nous aider à adopter une position qui renforce l’unité de l’Église. La deuxième chose : si effectivement la tradition de l’Église a évolué vers une conception des sacrements ayant tendance à s’éloigner de la Parole de Dieu, et cela est à corriger, il n’en reste pas moins que simultanément, l’intelligence de la foi et de l’acte liturgique parmi les fidèles restent trop pauvres. Chaque dimanche, nous confessons Dieu-Trinité, Dieu incarné, notre propre résurrection dans la mort et la résurrection du Christ. Quelle signification existentielle donnons-nous à ces affirmations, précisément pour mieux répondre à la question que nous sommes chacun pour nous-mêmes, mais encore pour mieux saisir le sens que nous prêtons à notre communion d’assemblée ? Ceci est le motif pour lequel, dans le cadre des 100 ans de l’Oratoire, les oratoriens, ces « disciples du Verbe incarné », ont choisi de proposer à Saint-Eustache, trois conférences, sur la signification pour aujourd’hui, du mystère Dieu fait homme. Pour revenir au synode, rien ne pourra se passer d’une manière éclairée indépendamment d’une appropriation par les fidèles de l’intelligence de la foi. La catéchèse de notre enfance actualisée par quelques déclarations spirituelles ou celles du Pape ne suffisent plus. Enfin, la démarche synodale ne peut pas être simplement une action conjointe d’acteurs différenciés de l’Église catholique, elle doit être également un acte de discernement mené à la lumière de la Parole de Dieu sur les signes des temps.
L’action synodale à Saint-Eustache se poursuit à travers une réunion plus fréquente du Conseil paroissial, à travers l’organisation de pôles d’action, à travers enfin la réunion d’une prochaine assemblée générale. Mais je dois vous le dire, j’aimerais que les paroissiens connaissent mieux, beaucoup mieux, les modalités de fonctionnement de la paroisse.
J’en viens désormais à des considérations plus matérielles. À ce sujet, je vais vous énumérer brièvement, plusieurs préoccupations :
1/ La défense du maintien de l’activité de la Soupe en lien avec l’existence ou l’arrivée d’autres actions caritatives.
2/ La poursuite de l’action en faveur du patrimoine de l’église Saint-Eustache, et notamment son grand orgue. Saint-Eustache ne peut pas vivre sans ses poumons que représente le grand orgue. Quant à l’embellissement de l’église, sa poursuite est motivée par la définition des trois axes que je vais vous présenter dans quelques instants.
3/ Enfin, et ce n’est pas négligeable, maintenir Saint-Eustache, comme lieu de la libre création artistique. Ici, nous avons tous une mission. Saint-Eustache est regardée comme lieu où la création contemporaine est possible, dans un lieu d’Église, et les acteurs de la création contemporaine constatent que Saint-Eustache propose des événements d’une extrême qualité.
4/ Le renforcement de l’accueil et trouver des bénévoles.
En 2019, j’avais présenté mes vœux en pointant trois axes. En fait peu ont retenu ces axes. C’est peut-être par défaut de communication. Alors, je les rappelle :
– l’ouverture
– l’accueil
– le rayonnement
Aujourd’hui, je souhaite reprendre ces trois points, mais en les présentant un peu différemment. Les propositions que je vais émettre sont réfléchies avec des membres de l’Équipe de l’animation pastorale et du Conseil paroissial.
Je souhaiterais tout d’abord faire un rappel : il y a en tout premier lieu la foi en Jésus-Christ et cette foi, nous l’exprimons dans un lieu incarné. Saint-Eustache, c’est d’abord lieu de vie (liturgique, culturel, musical, solidaire) marqué par un bâtiment exceptionnel qui a vécu au coeur de la capitale et a vibré avec ses évolutions, qu’il s’agisse de la tête de l’État (le roi, les grands) ou de son peuple (les Halles). Ce bâtiment et son histoire, aujourd’hui encore, nous obligent. L’Oratoire de France a hérité de cette église et lui a imprimé sa marque propre, place centrale du Christ et de la liturgie, ouverture à l’autre et dialogue avec la culture. Toutes ces caractéristiques forment le soubassement de toute vie ecclésiale à Saint-Eustache. Un projet pastoral cohérent doit commencer par les honorer, les prolonger, les creuser et, ce faisant, les faire évoluer pour mieux s’adapter aux réalités du temps.
À partir de là, je déclinerai quatre motifs :
Saint-Eustache ou la beauté du lieu habité (habiter)
La première action à imaginer et à poursuivre c’est faire en sorte que cette église, ce bâtiment, soit habité. Que ceux qui y pénètrent, par hasard, par habitude, pour visiter ou pour prier, sentent qu’il s’y passe quelque chose, que l’on peut s’y arrêter, s’y asseoir, prendre du temps. C’est pour cela que l’on insiste tant sur l’ouverture des portes, sur la réhabilitation des orgues, sur l’équipement mobilier – les bancs, les lumières, l’autel… Si vous saviez combien je suis heureux de voir désormais des personnes s’asseoir dans l’église, de prendre le temps de la contempler, et peut-être de méditer.
Bien sûr, cette accentuation entraîne le risque de nous rendre aveugles sur nous-mêmes, sur notre patrimoine intérieur, sur les multiples solidarités qui nous incombent car notre quartier est à la peine. Sa détresse humaine et sociale est à la mesure de sa richesse et de sa notoriété. Elle se concrétise par la misère humaine et morale, la déshumanisation, l’isolement, elle touche bien sûr les personnes de la rue mais aussi certains des membres de la communauté.
Saint-Eustache ou la beauté des rencontres (accueillir)
Du premier motif découle ceci : l’église doit rester accueillante à tous. Aux paroissiens – du territoire ou de coeur – aux diocésains, aux voisins, notamment aux amis de l’Oratoire du Louvre, aux hommes et femmes de bonne volonté, aux gens qui passent, aux gens qui croient autrement ou qui ne croient pas du tout, aux touristes, aux personnes de la rue, à ceux qui s’interrogent et que l’on appelle quelquefois les « personnes du seuil ».
Cet état d’esprit doit marquer l’ensemble des axes de Saint-Eustache, il doit aussi très concrètement s’organiser dans l’église et dans les diverses activités et missions paroissiales. Sur l’accueil des plus démunis, nous devons aller dans deux directions : premièrement mutualiser les actions de solidarité de Saint-Eustache, et ceci d’autant plus que ces actions se concentrent désormais sur la Pointe ; deuxièmement, développer une approche vraiment qualitative de la solidarité. Il ne s’agit pas simplement d’aider matériellement, mais de participer à des actions qui aident les personnes en précarité à se remettre debout.
Saint-Eustache ou la beauté de la parole (ouvrir)
La paroisse doit être particulièrement ouverte à ceux qui sont en recherche, à ceux qui voient leur foi questionnée par les évolutions du temps… Il s’agit de prendre les personnes où elles en sont, et d’entamer à tous les niveaux un dialogue fécond avec la culture contemporaine.
Cela se concrétise actuellement dans les prédications, dans l’attention portée à l’art contemporain, dans l’œcuménisme ou dans les diverses conférences-débat accueillies à la paroisse ou réalisées à son initiative. Là aussi cet état d’esprit doit marquer toutes les activités paroissiales. Cela se manifeste encore par l’existence de plusieurs groupes spirituels qui s’attachent à la lecture de la Parole. Mais il manque peut-être à Saint-Eustache une approche qui se concentrerait sur l’intelligence de la foi.
Saint-Eustache ou la beauté de la lumière qui se répand (rayonner)
Enfin la communauté paroissiale doit rayonner. Cela part du centre, de la Parole tout d’abord qui illumine la personne et le monde, mais cela part surtout de ce que le Concile appelle « la source et le sommet de la vie chrétienne », la liturgie. Pour elle, il s’agit de réinventer en permanence une beauté « sacrée » pour aujourd’hui qui allie la tradition et le nouveau. Mais la liturgie reste un envoi. Les activités de solidarité qui sont menées s’inscrivent directement dans ce que nous célébrons en proclamant l’Évangile et en consacrant le Pain et le Vin. Cela doit être particulièrement significatif pour les actions de solidarité. Il ne s’agit pas simplement d’« aider » mais de faire participer à quelque chose qui remet la personne debout.
Frères et sœurs, nous vivons dans une société qui accentue les oppositions. Cela pourrait donner pour nous chrétiens : l’Église contre le monde (et inversement) ; croyants contre non-croyants (et inversement) ; tradition contre écriture (et inversement) ; sacré contre profane (et inversement) ; verticalité contre horizontalité (et inversement) ; culture contre solidarité. Il me semble que contre toutes ces oppositions, le catholicisme institue un véritable principe d’unification. Cela est inscrit dans son appellation même : « Kathos », le tout. Et ce tout est dans chaque fragment (Balthasar). S’il y avait un principe d’unification que je déclinerais pour Saint-Eustache, je dirais simplement ceci : la beauté de l’humanité du Fils de Dieu n’est qu’amour. Oui, sans l’amour, la beauté n’est rien.
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