“Début mai 2023, le père Yves m’a téléphoné pour qu’on se rencontre, sans me dire pour quoi. Une fois sur place, il m’a demandé de créer deux toiles sur saint Paul. Une fois l’effet de surprise passé, j’ai réalisé que j’avais une chance inouïe”.

C’est la deuxième fois que l’église Saint-Eustache permet à Dhewadi Hadjab de donner un nouvel élan à sa carrière. En 2021, encore étudiant à l’école nationale des beaux-arts, le fonds de dotation jury mécénat lui donne carte blanche ; les deux corps féminins renversés de son diptyque évoquent des descentes de croix des temps modernes. Ces toiles le révèlent au grand public et l’introduisent auprès de la galerie Mennour Paris qui l’expose désormais.

Cette fois, le cahier des charges est plus précis : la chute et le relèvement de saint Paul orneront les vestibules Nord et Sud de l’église nouvellement restaurés, côté Ouest. Chute et relèvement, deux mots qui évoquent le mouvement, voilà de quoi séduire l’artiste, fasciné par la danse (il est admirateur de Pina Bausch). Mais pour ne pas épuiser ses modèles, Dhewadi a renoncé à les faire poser dans des postures inconfortables, voire douloureuses pendant des heures : la séance de pose est écourtée, et il travaille désormais à partir de photos.

Dhewadi veut inscrire le thème dans notre époque. Caravage peignait ses personnages bibliques vêtus selon la mode du début du 17e siècle, Dhewadi habille les siens de joggings, “la tenue des jeunes de banlieue qui arrivent aux Halles en RER”, fait-il remarquer. Il est également sensible à l’intégration de son œuvre sur les murs de Saint-Eustache ; c’est pourquoi il insère des éléments architecturaux dans ses tableaux : les plus observateurs reconnaîtront des éléments de la salle des Colonnes.

Dhewadi a également cherché à s’affranchir de ce qui a déjà été fait sur le sujet. Il ne se veut pas illustrateur ; c’est sans doute la raison pour laquelle il n’a pas représenté le cheval de saint Paul. Il aimerait que ses œuvres puissent développer l’imagination (que va-t-il se passer après ?) ou invitent à la poésie. Plusieurs clés de lecture existent : que penser par exemple de ce grand espace vide, noir, qui occupe les 2/3 de la toile ? Est-ce le désert ? La nuit de l’ignorance avant la conversion ?

En enrichissant le patrimoine de Saint-Eustache de ces deux toiles, le curé poursuit le travail de ses prédécesseurs. Il veut montrer que la création artistique est continue dans son église, que celle-ci reste vivante. Dhewadi se sent fier que ses œuvres côtoient celles de Tintoret, Rubens et Keith Haring, et qu’elles soient exposées de façon pérenne, dans “ce lieu de culte qui est aussi un lieu de culture”.

Odile Guégano, chargée de communication pour l’église Saint-Eustache