2e dimanche de l’avent (C), 8 décembre 2024, Saint-Eustache —
Homélie du frère Gilles-Hervé Masson o.p. (12:32)
Ba 5, 1-9 / Ps 125 (126) / Ph 1, 4-6.8-11 / Lc 3, 1-6
Deuxième dimanche de notre chemin de l’avent, de ce mouvement que nous faisons de nous
mettre en route, nous-mêmes, pour aller à la rencontre de Celui qui vient, de Celui qui a pris
l’initiative de venir vers nous. Deuxième étape où nous voyons apparaître et retentir à nos
oreilles cette grande voix qu’est Jean le Baptiste.
Alors, je voudrais commencer par Baruch, la première lecture que nous avons entendue, pour
arriver à Jean le Baptiste, avant que de dire un mot sur celle à laquelle on ne peut pas ne pas
penser, ce dimanche, la Bienheureuse Vierge Marie.
Tout d’abord, Baruch. Il fait partie des grands prophètes. Au demeurant, il porte un beau nom.
Baruch ça veut dire : « celui qui est béni ». C’est un mot qui parsème toute la spiritualité, toute
la prière de nos frères Juifs qui, du matin au soir, signent toutes leurs actions par de brèves
bénédictions qui ont le même texte que celui que nous disons nous-mêmes au moment de
l’offertoire : « Tu es béni Seigneur, Dieu de l’univers », tu es béni Baruch ahah… Béni donc
Baruc !
Et pourtant et pourtant…, son seul nom qui n’est pas dénué de douceur, nous rappelle que la
matrice dans laquelle s’est forgée l’espérance d’Israël a été une matrice de difficultés,
d’adversités, de douleurs et de malheurs. Baruch, il est parti avec Jérémie en déportation sur les
fleuves de Babylone. Baruch, il est revenu sur ce lieu de désolation après que tout avait été
détruit. Il est revenu vers Jérusalem alors que le peuple après deux générations au loin se
reconstituait, se réinventait et, pour ainsi dire, ressuscitait, renaissait de ses cendres.
Dans toute l’adversité qui s’est abattue sur le peuple d’Israël, on aurait pu penser qu’il n’y avait
pas d’échappatoire, que c’était fichu, définitivement. Et, au contraire, une force est née, on
appelle ça : l’espérance. Pas simplement un espoir qui irait de petite réussite en petite réussite,
de petit salut en petit salut, espérant sauver un peu sa peau pour ne pas trop souffrir, non ! Plus
profondément que cela, une espérance qui ouvre les yeux d’un regard qui croit en un avenir
transfiguré. L’espérance, cette foi qui regarde à demain et qui, envers et contre tous les dénis de
l’histoire et de ses malheurs, croit, comme disait un poète, que « le printemps ne nous oubliera
pas », que nous pouvons regarder vers un horizon de lumière, quand bien même nous sommes
confrontés à tant de difficultés, à tant de blessures. Et même, à tant de morts.
Vous avez entendu ce texte de Baruch, il porte tout ce que je viens de dire sur la déportation,
l’exil, la souffrance… et pourtant, il parle à Jérusalem, et il lui parle avec des mots assez
incroyables, des mots d’espérance joyeuse. Pas simplement une espérance plombée, trop grave.
Peut-être sûre d’elle-même, sûre de son fait, mais qui ne respirerait pas. Ici, nous
l’entendons : « Jérusalem quitte ta robe de tristesse et de misère et revêts la parure de la gloire
de Dieu pour toujours, enveloppe-toi dans le manteau de la justice de Dieu… »
Vous savez frères et sœurs que cette espérance messianique, c’est un des filons principaux de
tout le ministère des prophètes pendant toute l’histoire, depuis Amos jusqu’à Jean Baptiste, le
dernier prophète de l’Ancien Testament et le premier prophète du Nouveau Testament. Jean
Baptiste que nous entendons ce soir. Ce que Baruch ou Isaïe avaient vu de loin, Jean Baptiste,
lui, le voit de près et il va même le désigner, le pointer du doigt. Et c’est là-dessus que je voudrais
vraiment insister.
Baruch nous invitait à l’espérance et Jean fait de même. Jean, ce soir, il nous est présenté
essentiellement comme le Baptiseur, celui qui, nous dit-on « parcourt la région du Jourdain,
proclamant un baptême de conversion pour le pardon des péchés. » Ça, c’est le ministère de
Jean. Jean le baptiseur. Jean qui prépare le cœur de ceux et celles qui vont accueillir le Seigneur.
Il n’est pas en son pouvoir de donner le pardon. Lui, il ne peut qu’accueillir et valider une
démarche de repentir, une démarche de conversion sincère. Et c’est ici qu’il faut bien
comprendre le rôle premier de Jean. Il est baptiseur mais il est aussi précuseur : il prépare la voie
d’un autre, le chemin d’un autre qui va venir. Et celui-là, c’est Jésus.
Alors bien sûr, il y a une préparation à la venue du Seigneur mais ce qui va compter par-dessus
tout, c’est de comprendre que l’important c’est la rencontre avec le Seigneur. Nous essayons
d’améliorer nos cœurs, nous essayons de les ouvrir mais, à la rencontre du Seigneur, il n’y a pas
de préalable. Au contraire, c’est sa rencontre qui nous apporte la grâce de découvrir l’amour de
Dieu et qui nous apporte aussi la grâce de notre conversion. La grâce de notre conversion, elle
n’est pas avant que nous ayons rencontré le Seigneur. La grâce de notre conversion, elle naît du
sein de notre rencontre avec lui. La grâce de notre conversion, c’est assez simple, c’est le
Seigneur lui-même. Et saint Jean le baptiste ne va cesser de le désigner. Dans d’autres passages
d’évangile, il aura ces phrases si fortes : « Moi, j’ai vu et j’atteste que c’est lui l’Élu de Dieu » ou
encore cette phrase que nous entendons à chaque messe : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le
péché du monde. »
Jean, pourtant si important, s’effacera devant Jésus, pour que la rencontre avec Lui, Jésus, Celui
qui vient au nom du Seigneur, puisse se réaliser pour tous, pour toutes, pour tous les hommes et
femmes de bonne volonté. Il faut que Jean diminue jusqu’à disparaître et que Jésus au contraire
croisse, qu’il prenne toute la place.
Redisons-nous peut-être cela, ce dimanche. En écoutant la parole des prophètes, en nourrissant
notre espérance. Si parfois nous sommes tentés de désespérer un peu de notre péché, de notre
tiédeur, de toutes nos pauvretés, disons-nous que, comme disait saint Jean dans sa première
épître : « Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît tout. » Jésus vient vers nous pour nous
apporter cette grâce du pardon, cette grâce de la liberté intérieure et c’est parce que nous
recevons ce don que nous pouvons mettre tant d’ardeur à nous préparer à l’accueillir à cœur
dilaté.
S’agissant de cœur dilaté, nous pouvons regarder vers la Vierge Marie. La Vierge Marie qui est
pour nous comme une icône, ô non pas un être qui serait déréalisé, un être irréel, non ! la Vierge
Marie est un être bien réel, un être de chair et de sang mais aussi un être qui s’est livré tout entier
à l’Esprit Saint. Marie, une femme du peuple d’Israël qui écoute la Parole, qui est enracinée dans
la foi de ses pères, qui confesse le Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob ; qui croit absolument que
le Dieu de son peuple ne peut pas l’abandonner à son triste sort. Marie, un être saisi, dès les tout
premiers commencements de sa vie, par cette grâce du Verbe qui vient jusqu’à nous.
Lundi, dans les prières de la messe de l’Immaculée Conception, nous entendrons cette
formulation qui renvoie à la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception : « Préservée de
tout péché par une grâce venant déjà de la Passion de son Fils ». Marie, elle est comme nous
dans le monde de la Rédemption, elle fait parie des sauvés. À aucun moment elle n’a été
dispensée de faire le chemin d’humanité que nous faisons. Elle a marché comme une mère sur
les pas de son fils, elle a souffert ce que souffrent, et encore maintenant, tant de mères dans le
monde à qui leurs enfants sont arrachés, dont les enfants sont envoyés au front, dont les enfants
sont passés par profits et pertes par des grands tyranniques, irresponsables, cyniques. Marie
était bel et bien dans cette adversité qu’a connue et que nous rappelle le prophète Baruch et
qu’elle a traversée, munie de toute la force de sa foi, la force de son espérance, celle qu’elle
chante dans le Magnificat.
Alors frères et sœurs, en célébrant ce deuxième dimanche de notre chemin d’avent, repensons à
la matrice si réaliste, si dure parfois de l’espérance messianique, écoutons la prophétie de Baruch
forte et joyeuse ; entendons la voix de Jean qui nous invite à ouvrir nos coeurs à Celui qui vient et
regardons marie, la Toute-Sainte, qui peut goûter pour elle-même et mieux que quiconque la
béatitude de ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui la mettent en pratique, comme disait
Jésus : « Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la
mettent en pratique » et ça, c’est une béatitude.
Elisabeth disait à Marie : « Heureuse, bienheureuse celle qui a cru aux paroles qui lui furent dites
de la part du Seigneur. » Cette grâce mariale de la béatitude de l’écoute, nous pouvons la
demander pour nous-mêmes, la demander les uns pour les autres, la demander pour l’Église, la
demander pour tous les hommes et femmes de bonne volonté.
Suivons le conseil de saint Bernard qui disait : « Quand tu es dans les épreuves, quand tu ne vois
pas le bout du chemin, respice Stellam, voca Mariam, « regarde l’étoile, appelle Marie ! ».
AMEN