L’Épiphanie du Seigneur ( C ), 5 janvier 2025

Homélie du frère Gilles-Hervé Masson o.p.
Is 60, 1-6 / Ps 71 (72) / Ep 3, 2-3a.5-6 / Mt 2, 1-12

Chers frères et sœurs, nous voici arrivés à cette célébration que nous appelons « l’Épiphanie ». Dans le temps tout entier épiphanique qu’est le Temps de Noël, qu’est aussi d’ailleurs le temps de toute la vie de Jésus, une vie qui ne va jamais être autre chose que la révélation de lui-même, la dispensation de son Mystère, de son secret. Une longue vie, vie cachée, vie de prédication, passage par Jérusalem pour se proposer à l’attention de ses auditeurs, de la part de Jésus. Proposer son Mystère à leur attention, à leur disponibilité intérieure.

Que peut-on retenir de cette belle page que nous venons de lire ? Sans doute, et j’aime bien le rappeler, sans doute que ces figures qui apparaissent aujourd’hui nous rappellent ce que les prophètes n’ont pas cessé de dire. À savoir que le peuple Élu n’a pas vocation à garder cette Alliance pour lui. Le Seigneur, l’Éternel est le Dieu de tous et le Dieu pour tous, tous ceux et celles qui sont sur la surface de la terre. Il y a un universalisme chez les prophètes, qui est important : la bonne nouvelle, l’alliance est à proposer au plus grand nombre, à la multitude.

Ces trois personnages qui apparaissent dans le tableau, venus d’orient, sans qu’on nous donne plus de précisions, sont présentés comme des mages. Et j’aime penser à eux comme à des quêteurs, des quêteurs de sens, des quêteurs de vérité. Des gens qui n’hésitent pas à se mettre en chemin vers quelque chose qui probablement, dans leur quête, a été une surprise, quelque chose d’inattendu. Ils ont su regarder les cieux, ils sont su poursuivre leur démarche intérieure, leur quête de sens, leur quête de vérité. Ils ont su quitter leurs maisons, parcourir je ne sais quelle distance — toute la distance qu’il y avait entre leur recherche et celui qui venait combler quelque chose de leur quête.

Ces gens venus de l’extérieur, qui n’appartiennent pas au peuple de l’Alliance, ils sont pourtant absolument bienvenus. Plus encore que cela — et c’est surtout cela que je voulais partager avec vous à l’occasion de cette fête — plus encore que cela, ces gens qui viennent adorer l’Enfant à peine né, ils vont aussi prophétiser sur lui. Ils le font par les présents qu’ils offrent, dans lesquels les Pères ont vu des signes : l’or pour le roi, celui qui porte l’onction ; l’encens pour le Dieu ; la myrrhe pour l’homme de Jérusalem, l’homme des douleurs, de la Passion, mort et résurrection. En l’espèce, la myrrhe nous renvoie à l’ensevelissement du Seigneur Jésus.

Ces mages prophétisent sur celui qu’ils viennent adorer. Ces gens du dehors ont quelque chose, eux aussi, à dire pour faire droit au Mystère de cette frêle humanité devant laquelle il se mettent à genoux.

Mais il y a quelque chose que je voudrais ajouter. Lorsqu’on lit l’Évangile selon saint Matthieu, c’est juste après cet épisode des mages que se déroule quelque chose qu’on a vu il n’y a pas très longtemps, le 28 décembre : le massacre des Saint innocents. À la fin de la page que nous venons de lire, les mages sont avertis de ne pas retourner voir Hérode. Et ils vont rentrer chez eux par un autre chemin. Et c’est vrai que lorsqu’ils sont arrivés avec leur question : « Où doit naître le roi des Juifs ? », ils ont probablement ébranlé celui qui régnait alors à Jérusalem. Hérode a vu son trône vaciller. De roi, il ne peut y en avoir qu’un. Si donc il y en a un autre qui est né, cela signifie qu’il y a danger. Et on s’étonne de voir Hérode envoyer lui-même les mages à Bethléem, en les priant de revenir vers lui pour lui annoncer la naissance de l’enfant. Comme si Hérode était disposé à se laisser “évangéliser”. Pas du tout ! Il est tout entier dans la fausseté lorsqu’il prétend qu’il veut aller adorer celui vers lequel les mages se dirigent. Il va plutôt chercher à l’exterminer. De sorte que le texte, le passage suivant du massacre des Saints innocents, est très très lié à ce passage que nous venons de lire des mages qui vont vers Jésus.

Et la prophétie, elle s’étend jusque-là. Ce que va nous dire l’ensemble de ce texte de Matthieu, lorsque Jésus va fuir, emmené par Joseph et Marie vers l’Égypte où ils vont rester jusqu’à la mort d’Hérode, ce que l’on va nous dire, c’est que Jésus, dans sa propre existence, va porter toute l’histoire de son peuple, du peuple dans lequel il est né. Il va porter une histoire d’exode, il va aussi porter une histoire d’exil. Lorsqu’il parlera d’ailleurs de son passage à Jérusalem, de sa Passion, mort, résurrection, lorsqu’il en parlera dans la Transfiguration, il s’entretiendra avec Moïse et Élie de son « exode » qui devait avoir lieu à Jérusalem. « D’Égypte j’ai appelé mon fils » dit la prophétie — « D’Égypte j’ai appelé mon fils ».

Et ce que cela nous dit c’est que, oui, Jésus est bel et bien membre à part entière de son peuple. Il porte en lui cette logique profonde qui traverse toute l’histoire d’Israël, cette expérience, pourrait-on dire, qui traverse toute l’histoire d’Israël, qui peut toujours être lue comme une sorte de perpétuel exode, c’est-à-dire une quête qui n’est, au fond, jamais achevée et qui toujours se poursuit.

Alors frères et sœurs, en célébrant cette fête de l’Épiphanie, en gardant présente à l’esprit aussi la fête du Baptême qui va arriver bientôt, entrons dans l’ensemble, si je puis dire, du Mystère du Seigneur Jésus, marqué par cette réalité qui est la sienne : Christ-roi, Dieu, le Verbe fait chair, promis à un destin en principe réservé à l’humanité : la mort ; mais aussi la résurrection. Et pensons à cette logique d’Exode qui imprime si profondément la vie de cet Enfant, et qui sera plus tard la marque aussi de l’homme fait qui parcourra la Galilée, la Palestine, la Judée, et même la Samarie, pour annoncer son Mystère et pour annoncer au monde le Salut.

Le dernier mot, c’est quand même pour revenir sur cette notion de l’universalité. Et ici on ne peut pas faire mieux que de reprendre le magnifique texte de saint Paul apôtre, aux Éphésiens.
Je ne résiste pas au plaisir de vous le relire : « Frères vous avez appris je pense en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère. Ce mystère n’avait pas été porté à la connaissance des hommes des générations passées, comme il a été révélé maintenant à ses saints Apôtres et aux prophètes, dans l’Esprit. » Et surtout ceci « Ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. »

Répondons à l’invitation de saint Paul qui nous redit que cette proposition de l’Évangile, elle doit être faite au plus grand nombre, elle doit être faite à toutes et à tous. Il n’y a pas de prérequis, il n’y a aucune espèce de réserve à avoir, comme si on voulait garder un trésor précieux, non ! l’Évangile se veut ferment d’unité, pas simplement pour l’assemblée des croyants mais plus largement que ça, pour l’ensemble de cette humanité pour laquelle le Christ vient proposer son Évangile et donner sa vie. « Que tous soient un », c’est notre prière, c’est notre désir, et c’est aussi, selon la volonté du Seigneur, notre mission.

AMEN