Dt 26, 4-10 / Ps 90 (91) / Rm 10, 8-13 / Lc 4, 1-13
Frères et sœurs, vous avez certainement en tête l’économie générale du carême. La répartition se fait toujours un peu de la même manière : le premier dimanche, on part au désert avec le Seigneur Jésus ; le deuxième dimanche on fait une halte sur le Thabor pour vivre avec lui le moment de la Transfiguration ; et ensuite, cela dépend des années, soit on suit l’Évangile de l’année en cours ( l’année (C) ce sont les paraboles de la miséricorde), soit comme cette année à Saint — puisque nous avons des catéchumènes qui seront baptisés à Pâques — nous reprenons le grand cycle johannique et nous revivons les épisodes de la Samaritaine, de l’aveugle-né et enfin le grand épisode de Lazare.
Aujourd’hui donc, un départ au désert avec un passage tiré de l’Évangile selon saint Luc. Et pour bien saisir ce passage, il est sans doute bon de commencer par rappeler qu’il appartient à une séquence dans l’Évangile selon saint Luc, une séquence qui commence avec le baptême de Jésus, qui se poursuit avec quelque chose à quoi on ne s’arrête pas souvent dans l’Évangile de Luc : la généalogie de Jésus et qui s’achève, si l’on peut dire, avec ce moment, ce moment de dialogue, un dialogue biaisé avec celui qui porte la parole fausse et qui cherche à détourner de Dieu, et celui qui est le Verbe fait chair et qui va toujours rester attaché à son Père.
Le baptême de Jésus, ça se conclut par une voix qui vient du ciel : « Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré. » Et dans la généalogie, un grand mouvement se dessine. On nous décrit d’où vient Jésus et finalement on le déclare : « Fils d’Énos, fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu. » (Lc 3,38) Et vous aurez remarqué certainement que toutes les prises de parole du diable commencent par : « Si tu es le Fils de Dieu, fais ceci, fais cela… », « Si tu es le Fils de Dieu …» Ce qui est en question, c’est véritablement l’identité profonde de Jésus.
Pourquoi est-ce que je le rappelle ceci ? Eh bien, pour une raison toute simple, c’est que, on aurait vite fait de limiter le carême à une démarche, au fond, de réajustement moral, une période d’exercices plus ou moins spirituels, marquée par une austérité, des privations et puis, au fond, le carême finirait par ne consister qu’à bien préparer la confession de Pâques. Pourquoi pas, après tout ! Le carême… on prend des résolutions en général, et le plus souvent elles tiennent quelques jours de sorte qu’à la fin du carême, entre ce qu’on avait décidé qu’on ferait et ce qu’on a réussi à faire, il y a une espèce de gros décalage. Mais de toute façon, le carême c’est pas fait pour être réussi. Qu’est-ce que c’est qu’un carême réussi ? Un carême, simplement, où on a pris conscience de son péché et où on s’en remet d’autant plus à l’amour de Dieu.
Mais il me semble qu’il faut déplacer les accents et se dire tout bonnement mais avec détermination que le carême, pour nous, c’est une démarche proprement contemplative. Et vous l’avez entendu dans cette oraison qui ouvrait la messe où nous étions invités à « suivre le Seigneur, à regarder son Mystère » et ensuite à agir selon ce que nous avons contemplé. Contempler Jésus, le découvrir chemin faisant : Messie, Fils de Dieu ; se préparer à entendre ce que l’on entendra précisément à Jérusalem, précisément sur le Golgotha, lorsque le centurion qui est à côté de Jésus qui meurt dit cette parole énigmatique dans la bouche d’un centurion :
« Vraiment cet homme était Fils de Dieu. »
Dans l’Évangile selon saint Luc, notez bien que e le centurion dit plutôt : « Vraiment cet homme était un juste. » Mais je garde l’expression : « Fils de Dieu », car c’est cela que nous allons suivre c’est vers cela que nous allons aller à Jérusalem. Est-ce qu’un Fils de Dieu ça meurt ? Eh bien oui ! Ça meurt, et ça meurt au titre de l’amour. Et un Fils de Dieu, ça ressuscite aussi, et ça ressuscite dans la puissance de l’amour. Et comme j’aime à le dire — et je crois que je le dis tous les ans — il faut vraiment que nous mettions la fin dans les moyens. C’est-à-dire que Pâques n’est pas seulement au bout du chemin, Pâques est déjà présent à notre pensée, à notre prière, à la dynamique de nos exercices spirituels de carême.
Alors oui, faisons du carême un temps de contemplation, les yeux fixés sur le Seigneur Jésus, l’écoute démultipliée pour entendre sa Parole ; faisons du carême une démarche un peu comme celle que vont faire les catéchumènes. Pour eux, c’est une démarche très forte : dans la nuit de Pâques ils recevront tout ensemble le baptême, la chrismation et l’eucharistie. Quand on est un vieux baptisé ou une vieille baptisée, quelquefois, on s’est laissés un tout petit peu tasser par la longueur du chemin. C’est un bon moment pour nous reprendre et retrouver une vraie dynamique mais toujours, toujours, très proche du Seigneur.
Aujourd’hui, gardons cette image du Seigneur qui se laisse tenter. Je voudrais vous citer simplement une phrase de saint Augustin. Notre Père saint Augustin qui disait : « Si le Seigneur a bien voulu être tenté, eh bien, c’est pour que, nous aussi, nous soyons capables d’affronter victorieusement la tentation. » Jésus a été tenté, on lui a proposé de choisir, pour faire court, ce qui-n’est-pas-Dieu, ce qui n’est pas son Père. Il est resté attaché à son Père. À nous aussi, ce choix est proposé. Il est Fils de Dieu pour que nous soyons fils de Dieu.
Et il y a encore une chose que je voudrais nous dire et là, vous pourrez regarder l’édito que nous a rédigé le Père Mérienne. Si nous faisons ce chemin — chemin de contemplation, chemin de connaissance du Seigneur —, si nous faisons ce chemin de préparation pour recevoir dans la nuit de Pâques, à neuf, l’alleluia de l’Évangile, l’alleluia de la Résurrection, c’est aussi pour que nous soyons capables de nous engager. C’est ce que nous dit le Père Mérienne : porter et être porteurs du signe du baptême, être porteurs de la confirmation, se nourrir de l’eucharistie, cela nous engage à être de vrais disciples du Seigneur, cela nous engage bien sûr à cultiver l’adoration en Esprit et en vérité, prendre du temps pour la prière, prendre du temps pour lire l’Écriture et ensuite, il faut que tout cela se traduise en actes au service du bien, au service de la justice, au service de l’amour.
Cette année, nous sommes entrés dans le carême dans les circonstances que tout le monde connaît : un monde troublé, un monde qui vacille, un monde qui a quelques bonnes raisons d’avoir peur mais, justement, « l’amour parfait chasse la crainte » comme dit saint Jean et si nous traversons le carême, c’est aussi pour nous ré-assurer dans le Seigneur, nous ré-assurer en Celui en qui nous pouvons tout.
Frères et sœurs, continuons d’avancer dynamiquement sur ce chemin spirituel, suivons au plus près notre Seigneur et notre frère, Jésus le Christ, reconnaissons-le comme « Fils de Dieu » et, à son image et avec sa force, essayons à notre tour d’être vraiment des enfants dignes de leur Père des cieux.
AMEN