Célébration du 3e scrutin pour les catéchumènes de Saint-Eustache
Ez 37,12-14 / Ps 129 (130) / 1Rm 8,8-11 / Jn 11, 1-45
Pour ceux d’entre vous qui ne sont peut-être pas familiers de notre assemblée, vous êtes peut-être surpris d’avoir entendu les textes que nous venons de lire, tirés de Ézékiel, des Romains et de saint Jean. C’est que, comme nous allons baptiser des catéchumènes dans la nuit de Pâques nous avons repris le cycle de l’année A. Ceci étant dit, si vous voulez enrichir encore la méditation de ce dimanche, vous pourrez aller voir avec grand profit les lectures de l’année C, donc l’année en cours. On y lit du Isaïe, on y lit du saint Paul aux Philippiens, un très beau passage, et on y lit aussi un extrait de saint Jean : le passage de la femme adultère. C’est comme
un aérolithe de saint Luc qui serait arrivé dans l’Évangile selon saint Jean.
Et quant à nous, nous restons sur notre parcours. Nous avons rencontré la Samaritaine, nous avons vécu son dialogue avec Jésus, nous avons vu le chemin qu’elle a fait à l’intérieur de ce dialogue avec Jésus, en se laissant regarder par Jésus. La semaine dernière nous avons pris le temps de vivre la rencontre entre Jésus et l’aveugle de naissance. Nous avons surtout remarqué combien cet aveugle de naissance, après avoir été guéri par Jésus, a été fort malmené par ceux qui étaient autour de lui. Et cet aveugle avait recouvré la vue (la vue des yeux de chair), et surtout, il s’était ouvert à la lumière intérieure. De « voyant », il était devenu plus que cela encore, clairvoyant. Il savait discerner ce que tous les autres ne voyaient pas, à savoir, en Jésus, le Christ et le Messie ou, comme le dit aujourd’hui Marthe : « Celui qui vient au nom du Seigneur », justement, celui que nous acclamerons la semaine prochaine avec des « Hosannah ».
Après cette belle et longue page de l’Évangile selon saint Jean au chapitre 11e, juste une remarque extrêmement simple. Lorsque l’on pense à Jean, on peut penser évidemment à beaucoup de choses : le théologien, l’aigle qui voit profond, qui voit loin, le théologien presque mystique, le théologien du Verbe incarné… Mais il y a quelque chose que vous avez peut-être remarqué : lorsque Jean commence son évangile — c’est dans le Prologue — il a une formule qui n’est pas inintéressante, il dit ceci : « La vie était la lumière du monde. » — « La vie était la lumière du monde. » Et là, il articule deux thèmes qui lui sont chers : la vie et la lumière. À la fin
de son évangile, à la toute fin de son évangile, qu’est-ce qu’il dit ? Il dit qu’il a écrit son évangile pour que ceux qui le liront — ou plutôt qui l’entendront — « croient que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et que, en croyant, ils aient la vie en son nom. » (Jean 20,31). D’un bout à l’autre il est question de « vie ». Autrement dit, Jean n’est pas quelqu’un du tout d’éthéré, il n’est pas loin de nos préoccupations.
Et aujourd’hui, dans cette rencontre avec Marie, Marthe et Lazare, c’est encore de « vie » qu’il est question, très précisément au moment où la vie est contestée par la mort. Dans notre existence, certainement, l’une des plus grandes épreuves, peut-être la plus grande, c’est d’être séparés de ceux et celles que l’on aime par cet arrachement que constitue la mort. Et Jésus prend son temps. Lorsqu’on lui dit que son ami est malade, il prend son temps pour arriver, comme s’il laissait à Lazare le temps de s’en aller.
En effet, il veut poser un signe. Et qu’est-ce qu’il va poser comme signe ? Le premier : il va poser un signe en allant à la rencontre des deux sœurs de Lazare : « Seigneur, si tu avais été là, notre frère ne serait pas mort. » Autrement dit, il ne va pas esquiver la peine, le deuil de Marthe ou de Marie qui l’accueillent quand même avec une sorte de reproche. Jésus est certainement un familier de ces gens, c’est comme une seconde famille pour lui, mais il accueille ce reproche que lui adresse leur douleur.
Le dialogue avec Marthe est intéressant parce que Jésus, pour la consoler, lui demande si elle croit que son frère ressuscitera. Réponse de Marthe : « Évidemment qu’il ressuscitera ! Mais ce sera “à la Saint Glinglin”, à la fin des temps, à la résurrection générale … » Et alors Jésus, plutôt que de se projeter dans un futur lointain et inconnu, se propose à l’acte de foi de Marthe. Il ne lui fait pas un discours, il ne lui fait pas une théorie, il lui dit simplement ceci : « Moi (qui suis bien bel et bien là maintenant), je suis la résurrection et la vie. » Ce que Jésus va manifester d’abord, c’est cette puissance de vie qu’il porte en lui, et pour laquelle il est venu vers nous. Lui-même, dans son propre parcours — et on va le célébrer amplement la semaine prochaine, lors même qu’on le fait à chaque fois qu’on célèbre l’eucharistie — lui-même, s’est fait l’un de nous et va vivre le mystère de notre mort, le mystère de notre extinction, le mystère de nos yeux qui se ferment à la lumière de ce monde-ci. Mais il va mourir pour ressusciter et pour que nous ressuscitions avec lui. On aura, grâce à Dieu, cinquante jours pour méditer sur ce Mystère de la résurrection qui nous paraît être une promesse absolument magnifique, mais dont nous avons du mal parfois à cerner les contenus.
Pour le moment, nous regardons Jésus qui se tient auprès de Marthe, auprès de Marie ; Jésus qui se tient à l’entrée du tombeau où Lazare est bel et bien mort. Ça fait quatre jours qu’il est là, et on fait valoir à Jésus que si on roule la pierre du tombeau, ça va être pénible parce que « il sent déjà », comme le dit très très concrètement la sœur de Lazare. Et Jésus pourtant souhaite qu’on ouvre la pierre du tombeau. Et vous l’avez entendu, on nous dit : Il crie d’une voix forte pour appeler Lazare à sortir. Et au fond, ce qui nous est décrit, c’est un geste assez simple : la parole qui finit cette page d’évangile, c’est celle-ci : « Déliez-le, et laissez-le aller. », « Déliez-le — absolvez-le, mettez-le au large, enlevez-lui toutes ses entraves — et laissez-le aller. »
À noter pourtant : le mot doit être le même en grec : « anistemi » se lever, se relever, mais Lazare, en rigueur de termes, ne ressuscite pas de la vie nouvelle dont ressuscitera Jésus au matin de la résurrection. Lazare est en quelque sorte rendu à sa vie d’avant.
Peut-être que je me trompe, mais je me dis une chose assez simple : comment est-ce que nous pouvons préparer la vie éternelle en laquelle nous croyons, à laquelle nous aspirons, dont nous savons par ailleurs si peu de choses, sinon qu’elle sera bonheur, plénitude et béatitude sous le signe de l’Amour ? Eh bien, le seul moyen de la préparer cette vie éternelle que nous n’avons pas mission d’imaginer, c’est de vivre notre vie ici et maintenant. Le temps propre de notre vie, c’est l’indicatif présent, le temps propre de notre liturgie, c’est l’indicatif présent. Nous célébrons avec le Seigneur le Mystère de sa Passion, de sa mort et de sa résurrection, tout cela ça ne s’est passé ni hier ni avant-hier, tout cela, ce n’est pas fantasmé pour demain. C’est aujourd’hui que cela nous est donné pour que nous ayons la vie, pour que nous puissions tout simplement mener notre vie et la mener sous les meilleures auspices possibles : en étant heureux dans les circonstances heureuses, en étant courageux et affermis dans les circonstances qui sont plus difficiles.
Alors frères et sœurs, vous pourrez relire cette longue page de Lazare, éventuellement même prenez le temps cette semaine, avant d’entrer dans la grande et sainte Semaine, de relire les pages que nous avons traversées : le chapitre 4 de Jean avec la Samaritaine, le chapitre 9 avec l’aveugle-né, et ce chapitre 11e aujourd’hui.
Il est dit ici, en conclusion, que beaucoup de Juifs sont venus, ils ont vu le signe et « ils crurent en Jésus ». À la vérité, on est à un tournant dans l’évangile de Jean avec ce chapitre 11, parce que ce signe que Jésus pose, où il se pose en maître de la vie, c’est aussi le signe de trop. Et quelques versets plus loin, on nous dira que c’est le moment où il a été décidé de régler son compte une fois pour toutes à Jésus.
Ainsi le Mystère Pascal se profile bel et bien. Il est sur notre horizon immédiat. Pensons au chemin parcouru durant ce carême et songeons aussi à ce qu’il nous reste à parcourir — car il faut faire le chemin jusqu’au bout. Suivons le Seigneur jusqu’à la Semaine sainte, jusqu’à sa Passion et sa Résurrection. Et d’ores et déjà, accueillons la grâce dont le relèvement de Lazare est le signe : celui de ressusciter ici et maintenant pour mener notre vie en Celui qui, sans relâche, nous appelle à la vie et nous en fait le don.
AMEN