Pour Arouna, jeune réfugié de 23 ans, l’expérience d’accueil dont il a bénéficié, est un bouleversement. Au point de demander à devenir chrétien : « Jamais de ma vie je n’ai été traité de cette façon, dit-il. Je veux connaître ce Dieu qui vous a poussés à agir ainsi avec moi. » Il est bien des manières d’accueillir l’œuvre de l’Esprit, premier acteur de la mission… Saint Matthieu réfère l’envoi des disciples à la Trinité, et pas simplement à Jésus-Christ ou à l’Esprit, de sorte que l’équilibre entre les trois personnes de la Trinité est un point d’appui pour interroger la réponse que chacun donne à cet envoi : le Père envoie son Fils, lequel ouvre un nouveau chemin de vie, dans le don de l’Esprit qui souffle aussi à l’extérieur des rangs de ses disciples. Quelles sont alors les conditions de la mission, lorsque par ailleurs la foi que Jésus met en valeur est le plus souvent celle des païens, de préférence à celle des disciples qu’il a appelés, et dont « certains ont des doutes » ou ne comprennent rien ?
L’autorité de l’envoyeur positionne le disciple en second : comme Jésus se réfère à son Père, comme Paul se réfère au Christ (1 Co), le disciple se contente de transmettre ce qu’il a reçu, en n’oubliant jamais qu’il n’en est ni l’émetteur, ni le propriétaire. Une telle condition appartient à la réalité du mystère dont il est partie prenante, lorsqu’il met ses pas dans ceux du Ressuscité. Ce qu’il transmet le dépasse de part en part, au point d’en être le serviteur, parfois silencieux, comme ce missionnaire qui expérimente au Japon que : « La mission nécessite un silence intérieur, une disposition d’esprit qui consiste à observer le monde sans le juger, à tenter de le regarder pour ce qu’il est, sans le positionner face à ce que nous sommes. Faire taire ses préjugés devient alors le vrai défi, tout particulièrement ceux dont on ignore l’existence. Se taire, c’est une manière d’apprendre à décoder le monde d’une autre manière. » À bien des égards, notre compréhension du monde qui émerge aujourd’hui n’est-elle pas analogue à celle des missionnaires envoyés au Japon ?
L’universalité de l’Évangile dépend de la capacité des disciples du ressuscité à entrer dans ce mouvement de conversion, seul capable de faire vivre l’amour de Dieu pour tous, révélé dans la personne de Jésus, sans emprisonner la compréhension que nous en avons dans le cadre de référence d’une tradition particulière. Grâce à cet apprentissage, l’indifférence et la résistance opposées à l’Évangile, peuvent aussi être décodées comme un signe de l’Esprit que le Ressuscité a promis à ses disciples. « Dans la mesure où elle porte la marque de limitations humaines, l’Église peut être remise en question de la même manière. Par le fait donc de promouvoir ces valeurs, en un esprit d’émulation et de respect pour le mystère de Dieu, les membres de l’Église et les membres des autres religions se retrouvent comme compagnons sur le chemin commun que toute l’humanité est appelée à parcourir. Le pape Jean-Paul II le disait à Assise, à la fin de la Journée de prière, de jeûne et de pèlerinage pour la paix : ‘’Voyons en ceci une anticipation de ce que Dieu voudrait voir se réaliser dans l’histoire de l’humanité : un cheminement fraternel dans lequel nous nous accompagnons mutuellement vers un objectif transcendant qu’il prépare pour nous’’ ». (Dialogue et annonce, 79)
Les temps de transition que nous vivons sont difficiles. Ils nous bousculent. Pourquoi ne pas vivre ce dérangement dans l’anticipation d’une autre forme de réalisation du Royaume annoncé, avec une vigilance silencieuse mais active sur l’œuvre de l’Esprit dans et hors de l’Église qui se renouvelle ? Résistance et indifférence sont une opportunité pour le disciple de bonne volonté pour reprendre l’interrogation du psalmiste : « Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu ! ».
François Picart, prêtre de l’Oratoire