Cette scène nous en rappelle d’autres, plus familières : des vocations du même type dans les évangiles de Matthieu et de Luc (Mt 8, 18-22 ; Lc 9, 57-61). Chez Luc, en particulier, à une personne qui demande à Jésus d’aller prendre congé des siens avant de le suivre, Jésus répond : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu » (Lc 9, 62). Cela peut sembler assez inhumain : ne pas même dire au revoir à ses parents !
La radicalité de l’appel lancé par Elie et par Jésus invite à deux réflexions. Jusqu’à l’époque moderne, en premier lieu, la pression familiale était énorme sous tous les cieux. Aller saluer ses parents avant de suivre un prophète, c’était risquer de se faire récupérer par sa famille, y compris par la force. Si les couvents de moniales cloîtrées avaient des grilles, ce n’était pas tant pour interdire aux religieuses de sortir du monastère que pour empêcher le père ou les frères de venir les enlever pour les ramener manu militari dans le giron familial. Thérèse d’Avila en a donné le témoignage.
Au-delà de considérations culturelles, il est vrai, en second lieu, que la réponse à un appel venant d’un homme de Dieu ne peut se contenter de demi-mesures. Il faut s’engager résolument et parfois prendre des dispositions énergiques pour ne pas retourner en arrière. Elisée, qui labourait, finit par immoler les bœufs qui tiraient sa charrue ; il les fait cuire en brûlant le harnais qui les attelait, et les donne en nourriture à ses personnels. Plus de bœufs, plus d’attelage, il ne risque pas de revenir à sa vie antérieure.
A nos contemporains qui n’aiment pas les engagements définitifs, cette scène propose un modèle. Garantir ses arrières, c’est souvent aller de l’avant avec tiédeur, sans prendre vraiment de risque. Mais est-ce à cela que Dieu nous appelle ?
Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire à Lyon