Pour ces versets essentiels de la transmission prophétique, plusieurs interprétations cohabitent sans se contredire. Des éléments historiques sont nécessaires, non seulement pour mesurer le cadre narratif qui est constitué, mais aussi pour tenter de comprendre les enjeux des rédacteurs et des lecteurs que nous sommes. Voilà qu’un vieux texte, inlassablement transmis et médité jusqu’à aujourd’hui par le peuple d’Israël, est proclamé au cœur du rassemblement chrétien, afin d’être assimilé par celles et ceux qui communient par là au Verbe fait chair en Jésus-Christ.
Bien des éléments viennent pourtant heurter le sens commun et obligent à dépasser cette interprétation historique, pour entrer dans le geste même qui est proposé. Le texte biblique n’est jamais séparable de la relation qui justifie son existence. Nous ne croyons pas en Dieu parce que nous lisons la Bible. Nous recevons la Bible comme Parole de Dieu parce que nous participons à l’assemblée constituée par le Repas du Seigneur.
Il y a donc une mise en abyme, comme sur les boîtes de certain fromage fondu, fabriqué à partir de vaches heureuses, dotées de boucles d’oreille !
Le geste de transmission d’Elie à Elisée, ce manteau qui descend d’en haut et ne sert qu’à ouvrir les eaux du Jourdain, ne désigne pas uniquement un événement historique, d’ailleurs inaccessible. Il ne s’agit pas non plus d’un contenu uniquement littéraire qui rejoint la joie de la lecture et de la communion, à distance, entre auteur et lecteurs. Le geste déploie exactement ce que la liturgie met en œuvre, c’est-à-dire la transmission d’une parole qui prend la forme d’un vêtement pour couvrir la nudité de nos existences, qui prend aussi la forme d’un outil pour ouvrir ce qui semble fermé. C’est uniquement à l’intérieur de la vie liturgique d’Israël et de l’Église que l’on expérimente ce que le récit propose.
Pourtant, pour recevoir le manteau et l’instrument de la Parole, il y a une condition décisive qu’indique discrètement la répétition du geste d’Elisée qui, à deux reprises, frappe les eaux. Une question brûlante doit nous habiter, « où est-il ton Dieu ? » N’en rester qu’au geste extérieur ne produira rien sans ce feu intérieur qui est l’œuvre de l’Esprit.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire à Paris