Le jeune Clodomir montra timidement son croquis au grand bâtisseur italien, surnommé Boccador, premier architecte éminent en charge de la construction de Saint-Eustache. Le maître jeta un regard condescendant sur son écolier florentin, puis il saisit d’une main lasse le dessin retouché maintes fois : « Alors cette fois-ci, qu’est-ce que nous avons, demanda-t-il ? » Clodomir commença son explication en bredouillant, puis très vite il prit de l’assurance au fur et à mesure qu’il voyait le maître s’intéresser à son travail : « Au dessus du portail sud, juste au niveau de l’entrée, entre les deux portes, donc tout près des visiteurs, pratiquants ou touristes, je verrais bien une statue de Marie Mère de Dieu, qui serait gardienne de ce majestueux porche, elle accueillerait ainsi tout un chacun dans cette église.
Il est possible que les visiteurs ne la remarquent pas, estompée qu’elle sera par l’écrasante architecture qui la dominera, mais la Bonne Mère verra passer chacun d’entre eux, et déjà, les chérira et les bénira. » Le Boccador opina du chef en ajoutant : « Molto bene, pulcino mio, ça se présente très bien. Mais encore ? »
Clodomir retourna sa planche à dessin et présenta une seconde esquisse : « Et derrière Marie, sur le même porche, mais à l’intérieur de l’église, se trouvera l’apôtre Saint-Jean. Ils seront dos-à-dos, après avoir été côte-côte au pied de la Croix du Sauveur. Et s’ils sont réunis dans une telle proximité, c’est dire combien le Christ est là dans son mystère de Salut. Leur présence à tous deux constituera comme un sas, où les personnes entrant dans l’église, ayant à peine franchi le seuil, seront enveloppées du bienheureux mystère du Christ.
Alors ses ultimes paroles résonneront à plein pour chacun : Mère voici ton fils, Fils voici ta mère ! Marie accueillera les visiteurs, et Jean le bien-aimé accompagnera leur retour vers le monde. Jean a bien compris le message de Jésus après sa Résurrection, ce n’est pas dans un tombeau, ou confinés dans une église qu’il attend ses disciples, il espère les retrouver auprès de chacun de leurs contemporains, au lieu-même où chaque chrétien a été semé. » Le Boccador émit alors un sifflement admiratif : « Carino mio, quelles idées novatrices pour notre 16ème siècle ! Serais-tu prophète ? Tu sais que ces visionnaires finissent toujours très mal !… Mais dis-moi, avec des idées pareilles, ça sert à quoi qu’on bâtisse une telle merveille d’architecture ? – Au contraire, Maestro, un tel espace, une telle beauté, une telle majesté, une telle lumière, une telle élévation illustrent très bien la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur dont parle l’épître aux Éphésiens pour illustrer l’amour du Christ, que nous découvrirons si nous restons enracinés, établis dans l’amour. »
Jean-Marie Martin, oratorien, vicaire.