Cette étude précise, fortement argumentée et documentée, a reçu une mention spéciale au prix Henri de Lubac, en 2017 à Rome. Christian Barone analyse vigoureusement en montrant l’évolution de la réflexion de Pierre de Bérulle sur le Verbe incarné. A la suite des Pères de l’Eglise, et plus particulièrement d’Irénée de Lyon, le mystère de l’homme ne s’éclaire pas seulement sous l’angle de la nature et de la grâce, mais s’enrichit d’un troisième terme : la gloire. Au regard de la dimension rédemptrice de l’Incarnation, Bérulle s’émerveille de la dimension “glorificatrice” par laquelle le Christ, dans son humanité, glorifie Dieu. A travers le mystère pascal, le Christ – le Libérateur – conduit l’homme à sa finalité ultime, l’union avec Dieu. Une des incompréhensions que suscite souvent l’anthropologie de l’Ecole française de spiritualité, à la suite de son fondateur, est la qualification de l’homme comme étant fondamentalement un “néant”. Christian Barone montre bien que, loin d’être une vision pessimiste de l’humanité, cette expression s’éclaire par le mouvement de kénose du Christ Serviteur (esclave), s’abaissant jusqu’à la mort, et la mort sur la croix (Ph 2). L’homme ne devient véritablement humain que s’il se laisse christifier, c’est-à-dire s’il conforme son humanité à celle du Christ qui a librement vécu en serviteur, dans une pleine “servitude” à son Père. (De la préface de Mgr Luc Crepy).
1. PIERRE DE BÉRULLE : UN MYSTIQUE AUX “YEUX OUVERTS”
Dans une lettre personnelle au ton intime et confidentiel, François de Sales livre très librement à un ami ses impressions sur Pierre de Bérulle et n’hésite pas à s’exprimer en ces termes : « C’est un homme à qui Dieu a beaucoup donné et qu’il est impossible d’approcher sans beaucoup profiter » . C’est un jugement que tous ceux qui ont le courage et la patience de s’approcher de l’œuvre du cardinal peuvent encore formuler aujourd’hui. En effet, de ses écrits ressort toujours avec la même puissance la personnalité extraordinaire et éclectique d’un homme qui, des siècles plus tard, parvient encore à fasciner ses lecteurs par l’originalité de son regard sur le monde et sa façon toute personnelle de communiquer sa foi dans le Christ.
Plus connu comme maître de vie spirituelle que comme théologien, Bérulle est en réalité un personnage qu’il est difficile de classer dans une catégorie préétablie. Le portrait que brosse de lui Jean Orcibal, ôtant la poussière sous laquelle l’histoire de la théologie l’avait enfoui, vise à révéler sa grandeur. Il avait en effet été étiqueté, peut-être trop sommairement, comme l’un des nombreux dévots qui vécurent pieusement au XVIIe siècle. Or le travail d’Orcibal nous a restitué la riche personnalité d’un homme et d’un penseur qui, en tant que théologien ‒ de tendance ouvertement platonico-augustinienne ‒ a cherché avec ardeur à élaborer une synthèse dogmatique personnelle . Jean Dagens a, quant à lui, souligné la vaste culture classique de Bérulle, qui fit de lui un homme très proche des grands érudits de la Renaissance. On pourrait presque dire un humaniste post-tridentin cherchant à conjuguer dans les hardiesses de ses compositions l’expérimentation “esthétique” de la langue française naissante et l’approfondissement du dogme catholique . Paul Cochois, soulignant son élan mystique et sa vision hiérarchisée du cosmos, situe son œuvre ‒ avec excès peut-être ‒ dans la ligne de Denys l’Aréopagite. Il voit en lui le dernier épigone de cette culture médiévale toute centrée sur la construction d’une societas christiana . Quant à Michel Crépu, il met l’accent sur la portée historique de l’œuvre de Bérulle, pressentant, de façon téméraire, derrière son ambitieux projet de réformer le clergé de France, une aspiration secrète à devenir un « Loyola français » . De la même manière, Leszek Kolakowski voit en Bérulle un homme moderne et lorsqu’il souligne l’aspect le plus dynamique et combatif de son action, il attire l’attention sur son engagement zélé de controversiste dans la polémique anti-luthérienne et sur son rôle d’homme politique qui, par son charisme, a exercé un ascendant indubitable sur la monarchie française.
L’impression qui se dégage de ces études est que chaque chercheur a voulu faire du cardinal un portrait qui offrît une clef de lecture plausible de son œuvre. On reste cependant persuadé que la personnalité de Bérulle échappe à toute tentative de définition : Bérulle est à la fois un théologien, un humaniste, un mystique, un protagoniste de la Réforme catholique, un fondateur, un homme d’État et beaucoup d’autres choses encore.
Mon intérêt pour Bérulle est né de mon désir de travailler sur la l’histoire du Grand Siècle, période dont la réflexion théologique a été peu étudiée et souvent ramenée trop vite au seul engagement controversiste. Mais il vient surtout de mon attirance pour la figure multiforme de cet homme et de mon admiration pour la capacité exceptionnelle qui fut la sienne de pénétrer dans toute sa profondeur le mystère christologique. La fascination qu’exercent certaines des intuitions du cardinal sur l’événement unique de l’Incarnation du Verbe dérive de son aptitude magistrale à faire dialoguer des idées empruntées souvent à des milieux et des contextes différents. Ce qu’il cherche dans ce dialogue, c’est un déploiement harmonique du donné révélé à travers des points d’observation inhabituels : l’étude attentive de l’Écriture sainte se conjugue ainsi avec les données issues de la cosmologie, de la philosophie antique, de la mystique, du droit, de la littérature, dans un grand projet de synthèse resté en partie inachevé.
Mais la théologie du Verbe incarné du cardinal n’est pas seulement le fruit d’une réflexion spéculative, tout appréciable qu’elle soit, menée par un homme cultivé et érudit ; elle semble aussi, et même davantage, suscitée par l’urgence qu’il y avait à programmer et à réaliser une réforme ecclésiale. Après son ordination sacerdotale, Bérulle se retira en 1602, pour un certain temps, chez les Jésuites de Verdun et mûrit durant cette période la décision de contribuer à la solution de l’une des plus épineuses questions de l’Église française de son temps : trouver, dans le but de rétablir la crédibilité et la dignité du ministère ordonné, une réponse au problème de l’indigence culturelle et morale du clergé séculier. Bérulle se proposa de coopérer à la restauration de la vie religieuse et de ce clergé. Il était persuadé que cette rénovation ne pouvait avoir lieu qu’à travers l’adoption d’une discipline intérieure et que, pour changer l’Église, il était nécessaire d’initier les religieux et les ministres ordonnés à la vie mystique. L’introduction en France du Carmel réformé par Thérèse d’Avila puis la fondation de l’Oratoire de Jésus-Christ sont l’expression du profond désir qu’avait Bérulle de rénover le tissu ecclésial et en même temps la vérification concrète de l’apport original de sa théologie : il y a une logique de continuité entre la vie du cardinal, sa production théologique et tout ce qu’il réalisa dans son travail pastoral. Il est ainsi impossible de saisir l’idée de mission que Bérulle développa dans sa théologie du Verbe incarné, si l’on ne voit pas que le contenu en est résumé dans l’action pastorale des prêtres oratoriens envoyés dans le monde pour prolonger dans l’Église la mission du Fils fait homme. De même, on ne peut comprendre l’évolution de la pensée du cardinal et la spécificité des Vœux de servitude si l’on ne prend pas en considération la polémique qui l’amena à défendre sa christologie des accusations de monophysisme que ses détracteurs ‒ mus par des intérêts politiques plus que par l’amour de l’orthodoxie ‒ portèrent contre lui.
Il ne s’agit donc pas, chez Bérulle, d’une discipline mystique à la recherche d’états mystiques individuels qui, détachant le croyant de la réalité, le dirigent vers une expérience spirituelle de soi qui le fasse fuir le monde, mais, comme dirait Metz, d’une mystique « aux yeux ouverts » , qui reste ancrée dans l’histoire, qui rencontre le besoin et assume la fragilité de l’autre, qui cherche des solutions concrètes aux défis de son temps. On pourrait, de façon provocatrice, aller jusqu’à définir la mystique de Bérulle comme une “mystique politique”, dans laquelle l’action concrète qui s’intéresse au “bien commun”, à la “totalité” qu’est la réalité humaine, naît de la rencontre individuelle avec le Christ et se déploie comme réponse au geste et à la Parole que Dieu donne dans l’intimité d’une relation personnelle et unique. Une mystique que Bérulle tire de son expérience d’homme et qui trouve dans son effort pour saisir l’existence dans sa plénitude l’intuition qui le mène à rechercher dans la dépendance du Christ la direction dans laquelle vivre et développer comme liberté la dimension ecclésiale de l’acte de foi subjectif.
2. OBJET FORMEL DE LA RECHERCHE : L’ANTHROPOLOGIE DE BÉRULLE
Je me propose dans ce travail d’étudier la réflexion anthropologique sur laquelle repose la christologie du Verbe incarné du cardinal Bérulle. Il s’agit, dans ce cas, de dégager et d’analyser ‒ de la manière que nous avons aujourd’hui de penser la théologie ‒ l’un des nombreux thèmes entremêlés dont l’auteur tisse son discours, sans se soucier de présenter les arguments que demanderait un exposé systématique. La première difficulté consiste donc à recueillir les traces de cette réflexion anthropologique dans la variété de ses écrits et de leur donner un ordre de manière à les rendre plus immédiatement compréhensibles et exploitables.
Ce type d’entreprise ne serait cependant pas convaincant et resterait partiel si l’on ne faisait pas place en même temps à la pluralité des voix auxquelles Bérulle prêta attention et dont la confrontation lui permit de se faire progressivement une idée précise de l’homme. C’est justement la façon de faire de la théologie de cette époque ‒ dont Bérulle est un exemple significatif ‒ qui nous impose à nous qui, aujourd’hui, ressentons le besoin d’ordonner les données de façon systématique, de prendre en considération, au moins comme idéal, la totalité des interlocuteurs choisis par chaque auteur dans son débat théologique. La théologie de ce temps reste, en effet, en grande partie d’esprit dialogique et se développe dans la confrontation avec les idées des interlocuteurs. Et il arrive que, démêlant l’écheveau embrouillé des réponses aux objections et positions des autres, elle parvienne à des idées nouvelles et à des solutions créatrices . Si le discours de l’auteur n’est pas, à l’origine, systématique, c’est qu’il suit une autre direction : celle que lui trace son besoin de se confronter avec les affirmations discordantes et d’approfondir ses idées. Aussi ai-je choisi de faire place aux différents courants de pensée et de faire entendre la voix des auteurs que Bérulle reconnut comme interlocuteurs pour sa théologie. Ce faisant, mon attention s’est portée sur la façon dont l’Oratorien entendit leur répondre dans sa tentative de trouver des solutions aux difficultés que l’Église de son temps lui présentait.
Certains théologiens d’aujourd’hui font remarquer que la réflexion théologique actuelle a du mal à entrer en dialogue avec la culture contemporaine et que celle-ci semble presque la défier de survivre et de conserver encore quelque efficacité. La marginalisation de la réflexion théologique dans le débat culturel d’aujourd’hui serait dû en partie à l’incapacité de la théologie à instaurer avec les instances de la modernité la confrontation constructive que l’Église ne parvient pas à prendre suffisamment en charge .
Toute distinction nécessaire opérée, la situation que l’Église d’aujourd’hui doit affronter dans sa rencontre avec la pluralité des voix de la culture occidentale semble avoir de nombreux points communs avec les difficultés vécues par l’Église catholique dans la France du XVIIe siècle. Il ne fait aucun doute que l’on trouve chez Bérulle une volonté de dialogue ‒ qui ne craint pas d’opposer une idée claire ou d’élever une voix ferme au milieu des autres ‒ avec les différentes instances de son temps, la recherche de solutions aux conflits et le dessein de montrer de manière irréfutable le bien-fondé de la foi catholique. La différence entre notre temps et celui de Bérulle reste cependant toujours plus importante que tout rapprochement analogique possible. Aussi serait-il ingénu de chercher une solution aux problèmes actuels dans l’étude de la pensée théologique de l’époque. Nous pouvons cependant retenir comme positif et exemplaire chez les auteurs de ce temps leur souci de chercher un modo théologique qui, sans perdre de vue l’identité chrétienne ni dévaluer l’héritage du passé, tente de nouvelles voies et de nouveaux parcours de confrontation avec la modernité.
En essayant de reconstituer, au milieu de tant d’autres idées développées par Bérulle, le parcours de l’une d’elles, celle de l’homme, j’essaierai de montrer comment l’auteur a trouvé dans la voie de la dévotion une réponse originale aux sollicitations de son temps. Pour cela, nous prendrons en considération les auteurs ‒ y compris ceux d’époques et d’orientations différentes ‒ et les événements historiques qui, plus que les autres, permirent au cardinal d’étayer sa réflexion théologique. Pour les auteurs : Augustin d’Hippone et Denys l’Aréopagite comme références pour le monde patristique, Pic de la Mirandole et Marsile Ficin comme représentants de l’humanisme de la Renaissance, Maître Eckhart et Tauler comme représentants du courant théologique de la Mystique du Nord. Du point de vue historique, nous prendrons en considération Luther et le changement d’horizon opéré par la Réforme, la réponse catholique donnée à la Réforme dans le Concile de Trente et le travail apologétique consécutif réalisé par la théologie baroque, le scénario controversé des Guerres de Religion dans lequel, de De Bay à Jansénius, fut vivement disputé le problème de la grâce.
Étudier l’œuvre du cardinal permettra de décrire l’un des moments cruciaux de l’histoire de la pensée théologique française et, plus généralement, de la culture occidentale. L’époque de Bérulle est en effet celle dans laquelle la Scolastique connaît sa seconde floraison ; mais elle est aussi celle qui précède et prépare le cartésianisme et les transformations qu’il opère. C’est le moment où différentes traditions théologiques venues du passé, redécouvrant les richesses de la théologie des Pères et recherchant une nouvelle approche des Écritures ainsi qu’une précision plus grande du contenu dogmatique, convergent et se contaminent réciproquement. Mettre en lumière la contribution de Bérulle à ce processus d’évolution de la pensée théologique sera l’occasion de redécouvrir la vivacité d’un siècle dont la réflexion incisive a eu des échos et des répercussions qui se font encore sentir aujourd’hui.
Il faut en outre ajouter une remarque au sujet de l’influence exercée par Bérulle sur la théologie et la spiritualité françaises. S’il est vrai que ses œuvres n’eurent pas une grande diffusion après sa mort, sa pensée devint influente à travers ses disciples et, plus encore, hors de l’Oratoire, dans le courant bérullien qui a parcouru les siècles de façon transversale .
Le christocentrisme mystique, la glorification de la vertu de religion, la célébration de la souveraineté de Marie et l’exaltation de l’état sacerdotal sont quelques-uns des thèmes caractéristiques du bérullisme, thèmes que nous retrouvons illustrés par des exemples, systématisés ou développés dans les écrits d’auteurs du calibre de Vincent de Paul (1581-1660), Charles de Condren (1588-1641), Jean Eudes (1601-1680), Jean-Jacques Olier (1608-1657), Louis-Marie Grignon de Montfort (1673-1716) Mgr de Mazenod (1782-1861), François Libermann (1802-1852) .
Dans sa théologie du Corps Mystique et dans sa réflexion originale sur les états de l’homme-Dieu nous pouvons reconnaître certains des thèmes les plus intéressants de l’anthropologie de Bérulle. Ceux-ci constituent un point d’arrivée, mais aussi une charnière entre la théologie précédente et le développement dogmatique suivant. Il ne sera pas difficile, dans cette optique, de s’apercevoir que certaines intuitions du cardinal sur le Corps Mystique du Christ contribuèrent à créer la sensibilité théologique que l’on retrouvera quelques siècles plus tard dans l’encyclique Mystici Corporis de Pie XII.
Il est ainsi également possible de découvrir une continuité entre les méditations de Bérulle sur les mystères de la vie du Christ et l’œuvre de penseurs comme Blondel , Otto, Guardini, l’ensemble convergeant finalement dans la grande synthèse de Vatican II.
Maintenir de front plusieurs perspectives en prêtant attention à l’histoire et procéder à un approfondissement systématique et rigoureux de l’œuvre ‒ au risque même de donner l’impression de s’éloigner de la spécificité de ce que l’on traite ‒ est, à mon avis, la façon la meilleure et la plus respectueuse de tenter la lecture d’un auteur aussi éclectique que le cardinal de Bérulle et de parvenir à comprendre son interprétation de l’événement homme.
3. ÉVOLUTION D’UNE THÉOLOGIE DE L’HUMAIN : DE LA MYSTIQUE ABSTRAITE AU CHRISTOCENTRISME BÉRULLIEN
En 1597, Bérulle, à peine âgé de vingt-deux ans, publia sa première œuvre, qui avait pour titre Bref discours de l’abnégation intérieure. Il s’agit d’une adaptation en langue française du Breve compendio intorno alla perfezione cristiana, un traité de mystique attribué à la noble milanaise Isabella Bellinzaga (1552-1624), mais dans lequel il est possible de reconnaître l’empreinte du Jésuite Achille Gagliardi (1537-1607). Suivant la pensée de la dame milanaise, Bérulle présente dans le Bref discours une anthropologie des deux natures : l’homme est fait d’une nature corporelle et sensible qui est jointe à une nature spirituelle et rationnelle. Ces deux natures de l’homme tendent, après le péché, à s’opposer à l’union avec Dieu et recherchent plutôt l’autosatisfaction. Le Bref Discours se propose donc de tracer la voie de l’abnégation ‒ nécessaire pour vaincre le repliement des deux natures sur elles-mêmes – de sorte à laisser à Dieu la possibilité d’agir dans l’homme sans que celui-ci lui oppose de résistance. L’abnégation est en effet une opération de la volonté qui doit intervenir de façon différente sur les deux natures de l’homme : pour corriger la nature corporelle, elle prescrit l’ascèse des sens, c’est-à-dire le renoncement aux biens matériels, à la dignité et aux honneurs, à la vanité du monde ; pour corriger la nature spirituelle, elle préconise l’indifférence aux consolations et aux biens spirituels, de sorte que celle-ci puisse rechercher avec toute la force de l’intellect la seule présence de Dieu. L’abnégation marque le passage de l’éthique à la mystique et vise à l’anéantissement en l’homme de sa volonté. Il s’agit donc d’une introduction à la vie spirituelle dans laquelle la raison ne se contente pas des expériences sensibles qui semblent attester la présence de Dieu ; au contraire, l’exercice d’ascèse pousse l’intellect au dépassement des concepts pour atteindre un état de libération des affections, sentiments, et passions de la volonté. Le but final est situé dans l’anéantissement du moi personnel pour laisser la volonté de Dieu disposer des affections, des actions, des choix.
Bérulle a trouvé dans le mot abnégation l’un des termes qui lui convient le mieux pour exprimer et indiquer la voie qui mène l’homme à la divinisation. Il l’a en effet sans cesse employé jusqu’à sa mort, de sorte que ce mot est devenu l’une des caractéristiques de son vocabulaire. Cependant, ce qu’il est important de noter dans le déploiement de ce projet spirituel de sa jeunesse et dans l’anthropologie qui le sous-tend, c’est l’absence presque totale de références à la personne de Jésus. Dans le Bref Discours, rien ne se rapporte à la présence du Christ et les références du Breve compendio à l’homme-Dieu sont elles-mêmes omises par le jeune Bérulle. Cela s’explique à la lumière de ce qu’envisage cette mystique essentielle : si la tâche de l’abnégation est de conduire les deux natures au dépassement des passions et des concepts rationnels, l’âme doit alors s’élever au-dessus des images qui concernent le Christ et sa vie terrestre. Celles-ci peuvent en effet faire obstacle au détachement total de la dimension sensible et corporelle. L’influence qu’à travers la médiation du capucin Benoît de Canfield la Mystique du Nord eut sur l’œuvre de Bérulle est perceptible dans cette conception radicalement “théocentrique” de la vie spirituelle.
Le modèle anthropologique adopté par Bérulle dans le Bref Discours semble donner pour acquis le schéma théologique qui considérait le rapport entre nature et grâce comme un antagonisme irréductible entre des réalités opposées. L’œuvre de la maturité du cardinal, ne connaît pas, en revanche, le rigorisme sévère ni la vision pessimiste de l’homme totalement corrompu qui sont à la base du Bref discours. Au contraire, les écrits de la maturité de Bérulle font penser à l’œuvre d’un humaniste de la Renaissance qui assigne une position centrale à l’homme et à sa nature, laquelle est décrite comme un microcosme ou une représentation réduite de l’univers. Nous trouvons déjà dans le Traité des Énergumènes un passage qui laisse présager ce changement d’horizon dans la pensée de l’Oratorien :
Le Créateur situant l’homme, qui est son image, au milieu du monde, c’est-à-dire entre le ciel et l’enfer quant à la résidence; entre le temps et l’éternité quant à la durée ; entre lui et le diable quant à la liberté ; et entre les anges et les animaux, quant à la nature : il en fit comme un point et un centre auquel toutes les parties du monde se rapportent par les divers degrés de la nature, comme par des liaisons internes. Au moyen de quoi il se trouve allié à toutes choses, et toutes choses à lui, les matérielles par le moyen du corps, les spirituelles par le moyen de l’âme .
Comment Bérulle arrive-t-il à une vision de l’homme si différente ? Qu’est-ce qui l’amène à changer si profondément le regard qu’il porte sur l’homme et sa nature ?
Dagens soutient que la façon de lire l’œuvre de Bérulle et d’opérer une herméneutique de sa pensée théologique dépend en grande partie du sens que l’on donne au Bref Discours . Aussi certains chercheurs tendent-ils à isoler cette œuvre de jeunesse du reste de la production du cardinal, comme si cet ouvrage constituait, ou presque, une erreur d’évaluation à attribuer à l’inexpérience du jeune auteur ; d’autres y découvrent la preuve irréfutable du pessimisme anthropologique qui aurait caractérisé toute sa réflexion sur l’homme. Mais, à bien y regarder, le développement postérieur de la pensée de Bérulle approfondit, d’une part, certaines intuitions du Bref Discours qui deviendront des points saillants de sa théologie, et s’oriente, de l’autre, vers un changement de perspective qui fait plutôt penser à une rupture ou à un déplacement du centre d’intérêt. L’évolution de la conception anthropologique dans l’œuvre de Bérulle est certainement due au tournant que détermina dans la conscience du théologien l’acquisition du thème de la centralité de l’Incarnation. En effet, à partir du moment où il s’est concentré sur l’événement unique que représente l’humanisation du Verbe, Bérulle, revoyant son idée de l’homme, l’a considéré comme créature pensée en vue de l’accomplissement de l’humain en Jésus-Christ.
L’hypothèse désormais “classique” qui explique cette radicale transformation dans la pensée de l’auteur, veut que le christocentrisme de Bérulle ait eu essentiellement pour origine son contact avec la spiritualité de Thérèse d’Avila, à laquelle il fut introduit par la fréquentation des religieuses carmélites qu’il avait sous sa direction. Ce seraient elles qui l’auraient poussé à abandonner la mystique des essences pour se centrer sur le mystère de l’humanité de Jésus. L’hypothèse que je me propose de démontrer dans ce travail m’amène plutôt à supposer que l’évolution de la christologie bérullienne est bien antérieure à la rencontre avec le Carmel, qu’elle débuta dès la jeunesse de l’auteur, quand son engagement controversiste le poussa à réfléchir sur les questions les plus débattues entre catholiques et luthériens. Moment où il se concentra particulièrement sur le thème de la justification par la foi et sur celui de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Notre tentative de confirmer, d’un point de vue formel complètement nouveau, cette lecture de l’œuvre de Bérulle, s’explique avant tout par le fait que les chercheurs n’ont eu précédemment accès qu’à des textes partiels et fragmentaires. L’édition critique des œuvres de Bérulle réalisée par Michel Dupuy nous permet aujourd’hui d’étudier de façon plus complète et de reconstruire de manière plus sûre le chemin qu’a parcouru la pensée théologique de notre auteur. Et l’on sera surpris de découvrir un Bérulle inédit précisément dans les écrits de controverse de sa jeunesse, dans lesquels apparaissent comme déjà ébauchées les intuitions les plus géniales de sa théologie. Mon idée est donc que la conception christologique de Bérulle a évolué non tant en relation avec la spiritualité thérésienne qu’à travers la connaissance de l’œuvre de Calvin. C’est la lecture de cet auteur qui l’a amené à repenser à la centralité salvifique du Christ. Bérulle a fait preuve par-là d’intelligence et de sagesse car il a su discerner ce qu’il y avait de “bon” dans les éléments que la doctrine des réformés avait mis en évidence, et, d’une certaine façon, tirer une leçon de théologie des textes mêmes de ceux qu’il se proposait de réfuter. C’est la raison pour laquelle il décida de ne pas suivre la méthode de la Scolastique. Connaissant les objections que les luthériens faisaient à la théologie catholique, il essaya de retourner aux sources bibliques et patristiques pour élaborer un discours théologique qui fût capable, d’un côté, de soutenir les doctrines de la plus solide tradition catholique et qui pût, de l’autre, utiliser des instruments et des arguments nouveaux. On comprend aussi en ce sens son choix d’abandonner le latin, universellement considéré comme la langue des scolastiques, pour tenter de formuler les concepts théologiques dans le français courant, de manière à être plus proche des exigences de la pastorale.
Nous pouvons ainsi reconnaître dans l’anthropologie bérullienne une tentative valide de créer un rapport positif entre respect de la tradition et ouverture à la “nouveauté”, entre défense de l’identité catholique et redéfinition de celle-ci à l’intérieur d’un cadre théologique adhérant mieux à la réalité du moment présent.
4. LA CONTRIBUTION DE CETTE RECHERCHE À LA THÉOLOGIE
Pour comprendre l’anthropologie de Bérulle, il faut étudier le changement que produit en elle la centralité attribuée au mystère de l’Incarnation : la grandeur de l’homme vient désormais du fait que Dieu a assumé la nature humaine. Ce qui, selon moi, demande un nouvel approfondissement, c’est la portée de cette affirmation, son retentissement sur la théologie de l’époque : à travers la méditation sur l’humanité du Verbe, Bérulle trouve le moyen de faire accepter à l’orthodoxie catholique certaines thèses de la tradition humaniste sur la grandeur de l’homme, thèses auxquelles l’Église s’était précédemment opposée avec force et qu’elle avait condamnées comme étant en opposition avec la vérité de la foi. Appliquant à la christologie la théorie copernicienne de l’héliocentrisme, Bérulle reconnaît dans l’humanité du Verbe incarné le centre immobile de l’univers et situe ainsi la grandeur de l’homme dans le cadre augustinien d’une nature humaine déchue en raison du péché. Tout en faisant sienne la perspective scotiste sur l’Incarnation, il montre que si le Verbe s’est fait homme, ce n’est pas principalement pour réparer l’offense faite à Dieu par le péché de l’homme, mais pour parachever la nature humaine dans le Christ. Vénérant Dieu parce qu’il s’est fait homme et exaltant l’homme parce qu’il a été élevé à la dignité divine, Bérulle assimile dans sa doctrine christocentrique la tradition humaniste qu’il conjugue sans réticence avec la doctrine mystique dionysienne d’inspiration platonisante.
Dans les recherches menées sur l’œuvre de Bérulle ont été surtout étudiées sa réflexion christologique et, à l’intérieur de celle-ci, les idées les plus originales qu’elle développe. Mais ce qui a été peu exploré, c’est le rôle que Bérulle attribue à l’œuvre de l’Esprit-Saint et l’importance qu’il accorde à cette œuvre dans sa conception de l’homme. L’anthropologie de Bérulle, centrée sur l’humanité du Verbe incarné, reste en effet incomprise si l’on ne mesure pas dans toute sa profondeur la nouveauté introduite par l’union hypostatique dans l’ordre de la nature. Or la déification du chrétien est expliquée comme œuvre de l’Esprit-Saint qui, rendant actuelle la disposition volontaire de l’homme à la servitude à l’égard de Dieu, le met en mesure de participer à la servitude essentielle du Christ. L’Oratorien établit en effet une relation directe entre les mystères de la vie du Christ, compris comme déclinaison en actuations infinies de l’unique volonté du Fils fait homme de vivre en état de servitude à l’égard du Père, et l’expérience de la liberté de l’homme qui, soutenue par la grâce, choisit de participer à la servitude du Christ en s’y laissant associer par l’action de l’Esprit. Bérulle n’aime pas parler de nature humaine, parce que, à son avis, l’homme est appelé par Dieu à se réaliser non dans l’ordre de la nature, mais dans celui de la grâce et de la gloire. Quand il traite de l’homme, il préfère se référer à lui en tant qu’être créé, établissant une distinction entre l’humain et la condition d’historicité dans laquelle l’homme se trouve. Parler d’humain au lieu d’homme est pour l’Oratorien une condition propédeutique à l’approfondissement de la notion de divinisation comme subsistance dans le Verbe : sur le modèle de l’humanité du Christ qui ne possède pas de subsistance propre mais la reçoit de la seconde hypostase de la Trinité, l’homme, comme être créé, trouve dans l’ordre de la grâce, et par l’intermédiaire de l’action de l’Esprit-Saint, sa subsistance dans le Christ.
Bien qu’elle puisse sembler à première vue marginale par rapport à son imposante réflexion christologique, la pneumatologie de Bérulle connaît une évolution dans la dernière période de production du cardinal. C’est là aussi la limite imposée à l’enquête que je me propose de mener : il n’existe pas dans l’œuvre de Bérulle de traité spécifique sur le rôle de l’Esprit, mais seulement une attention à ce thème, que l’on discerne en particulier dans le sens donné par le cardinal à la pratique des Vœux de servitude et dans certains passages de ses écrits tardifs, comme la Vie de Jésus et l’Élévation sur sainte Madeleine. Nous ne disposons donc que d’une ébauche et nous devons nous limiter à décrire la trajectoire tracée par le cardinal. La correspondance de Bérulle et les dernières conférences adressées aux prêtres oratoriens nous aident à saisir son intention finale de revoir la christologie en insistant sur le rôle de l’Esprit-Saint dans la vie du croyant. Négliger cette nuance dans l’articulation finale de sa pensée empêcherait de saisir pleinement l’anthropologie bérullienne dans toute sa richesse.
Arrivé à ce point, je pense devoir dire un mot du titre choisi pour cet ouvrage. J’ai voulu, en effet, rappeler dans ce titre l’idée bérullienne de la “révolution copernicienne” qui s’est produite dans l’événement de l’Incarnation. Les hiérarchies du cosmos se trouvent renversées et transformées par l’Incarnation du Verbe : à l’ordre de la nature, de la grâce, de la gloire, vient s’ajouter un nouvel ordre, celui de l’union hypostatique, laquelle comporte une “re-création” de l’homme. Ainsi n’est-ce plus le ciel qui gouverne et régit la terre mais, à l’inverse, la terre qui est élevée au-dessus du ciel. Dans la structuration hiérarchique de l’univers, l’humanité est en effet élevée ‒ en raison de l’union hypostatique ‒ au-dessus des anges.
5. TROIS “MOUVEMENTS” D’ENQUÊTE : NÉANT, ÉTAT, SERVITUDE
Ce travail de recherche est composé de trois mouvements successifs. Je tenterai d’abord de reconstituer l’anthropologie de Bérulle en suivant l’évolution de sa pensée à partir de la définition de l’homme comme être créé. Cela permettra d’affronter le problème de la liberté de la créature et de comprendre la façon dont l’homme se situe dans sa relation originaire à Dieu.
On pourra ainsi saisir la base métaphysique sur laquelle repose la réflexion de notre auteur : le point de départ de celle-ci est en effet la conception de Dieu comme Être-Un qui subsiste par soi-même et qui étend à la création l’acte de subsistance divine. Bérulle souligne avec force le fait que tout ce qui est créé peut être classé dans la catégorie du non-être puisque, participant de la subsistance divine, ce qui est créé ne subsiste pas par soi-même. Plus précisément, le cardinal soutient que ce qui subsiste en vertu d’un autre n’existe pas vraiment. Une assertion qui le conduit à affirmer, sous une forme positive, que toute la création est relation à Dieu et, en même temps, à reconnaître que la contingence de toute réalité créée fait que celle-ci peut être aussi entendue comme un non-être . Quand Bérulle se réfère à la condition de créature, il la pense dans cette nécessité de dépendance essentielle de Dieu, et, ainsi, pour définir ce non-être qui est spéculaire de la relation avec Dieu, Bérulle recourt à la catégorie de néant .
Ce terme possède des significations différentes qui méritent d’être traitées avec une grande attention. De toute façon, lorsque Bérulle parle de néant de la créature, il se réfère à la formule qui présente la création comme produite à partir de rien, ex nihilo. Mais l’usage de ce terme peut aussi exprimer une qualité inhérente à la nature humaine, une qualité proche du concept moderne de limitation : l’homme est finitude, c’est-à-dire qu’il est inséré dans une condition de créature qui fait de son existence une relation se situant à l’intérieur des limites du temps et de l’espace. Le mot néant n’a pas nécessairement une signification anthropologique dépréciative et n’est pas dicté par l’intention de connoter négativement l’homme ; il a simplement pour but de décrire la condition de créature comme dépendance à l’égard de Dieu. La comparaison avec la doctrine du péché originel d’Augustin et avec la structure hiérarchique du cosmos de Denys l’Aréopagite permettront d’éclaircir la réflexion anthropologique du cardinal.
Dans le second mouvement j’essaierai de dégager les caractéristiques principales de la christologie de Bérulle, en étudiant en particulier le rapport entre Incarnation et grâce et, plus précisément, entre l’humanité assumée par le Verbe et l’appel adressé à l’homme à participer à la vie nouvelle dans le Christ. Suivant la ligne scotiste , Bérulle est convaincu que dans l’Incarnation du Verbe, Dieu a ajouté au dessein originaire de parachever la nature humaine, l’intention de libérer celle-ci du péché et de la racheter du néant dans lequel par sa faute elle est tombée. Le salut est ainsi libération réalisée par la médiation christologique, laquelle consiste en une disposition volontaire du Fils de Dieu à entrer dans la condition de servitude propre à la créature, condition que l’homme a délibérément refusée. Le salut ne peut être réduit au seul fait de rétablir la relation de créature voulue dans le plan originaire de la création, mais il se réalise comme une re-création dans le Christ, une élévation de l’homme à une autre modalité de relation avec Dieu. La théologie du Verbe incarné devient ainsi indispensable pour la méditation théologique de Bérulle qui repense dans ce cadre l’initiation mystique et spirituelle. Il ne s’agit pas seulement d’imiter le Christ en le posant comme modèle de l’action chrétienne, mais plutôt de se situer dans l’unicité de sa relation au Père à travers la connaissance des états qui constituèrent la vie intérieure de l’homme-Dieu. La catégorie d’état ‒ qu’il sera nécessaire d’explorer dans ses différentes significations et dans l’acception originale que lui attribue l’auteur ‒ vient se conjuguer avec un autre terme fondamental pour l’anthropologie de Bérulle, à savoir celui d’adhérence. Si l’imitation conduit le disciple à connaître les états qui furent suscités dans le Christ, pour adorer Dieu comme Lui, le concept d’adhérence introduit à un autre type de relationnalité, dans lequel le disciple adore le Père en Jésus-Christ.
Avec le troisième mouvement, je cherche à saisir le rôle attribué par Bérulle à l’Esprit-Saint dans la vie du croyant pour faire ressortir la façon dont l’Esprit intervient pour accomplir la déification de l’humain. La vie intra-divine ne connaît pas de principe hiérarchique ni de soumission et, par rapport au Fils, il faut dire que « le Père éternel est bien son Père, mais il n’est pas son souverain en la divinité » . Mettant en évidence le rapport dialectique entre l’amour et la liberté en Dieu, dans la communication intime entre les personnes divines, Bérulle montre l’unicité exemplaire de l’Incarnation comme œuvre ad extra dans laquelle Dieu rend visible au monde le mystère de l’unité divine. Le Fils choisit de s’incarner dans la liberté de l’amour qu’il porte à son Père et à l’Esprit-Saint : c’est en raison de la condition de liberté absolue et de l’absence de contrainte dans la vie intra-divine que le Fils choisit d’assumer la chair, s’établissant ainsi dans une condition de servitude à l’égard du Père. Bérulle appelle anéantissement cette disposition volontaire de renoncement à soi-même et de recherche de la volonté de Dieu contre toute forme d’appropriation individuelle. L’effet de la grâce consiste à réaliser dans l’esprit de l’homme une condition de néant dans laquelle la dépendance envers Dieu, c’est-à-dire la limitation propre à la créature, n’est pas seulement reconnue mais encore recherchée à travers le choix libre de demeurer dans un état d’obéissance. Se mettre dans la condition de serviteur, à l’imitation du Christ, signifie paradoxalement éprouver le vertige de la liberté authentique et parfaite. C’est ce que veut exprimer l’idée de Vœu de servitude qui devient chez Bérulle l’instrument par lequel l’homme prend conscience dans la prière de la nécessité de se reconnaître comme créature face à Dieu. L’idée de servitude comme aptitude à rechercher un anéantissement ontologique volontaire, avec pour modèle et exemple Jésus-Christ et sa disposition intérieure à l’égard du Père, semble poindre dans le contenu de cette doctrine qui prendra ensuite le nom de quiétisme et qui sera condamnée par l’Église. Il nous faudra donc comprendre si Bérulle peut être considéré comme un quiétiste avant la lettre ou s’il vaut mieux dire que sa pensée et sa doctrine mystique ne peuvent être assimilées à ce phénomène postérieur et restent dans la ligne de l’orthodoxie.