Quelques versets après la guérison d’un aveugle, celle d’un sourd à l’élocution embarrassée fait partie des récits qui présentent Jésus comme celui qui accomplissant la promesse d’Isaïe, incarne la venue du Règne de Dieu. Voici votre Dieu : c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. Alors se dessilleront les yeux des aveugles, et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la bouche du muet criera de joie (Is 35, 5-6). Avec la guérison de l’aveugle, ce récit encadre des épisodes qui montrent Jésus confronté à l’inintelligence de ses disciples : ils ont des oreilles mais n’entendent pas, ils ont des yeux mais ne voient pas (cf. Mc 8, 4.14-21). Ici, l’élocution difficile est la conséquence de la surdité qui empêche de s’exprimer correctement. La guérison a pour but que l’homme puisse parler correctement.
La lecture de ce récit dans le contexte de la crise systémique que traverse le peuple de Dieu, peut éclairer les causes profondes de ce qui nous arrive. Le rapprochement entre l’inintelligence des disciples et celle du peuple de Dieu sourd-muet : muet parce que sourd, sourds aux abominations commises, sourds à la souffrance des victimes pour protéger l’institution. Comme le jeune homme de l’évangile, notre élocution est rendue difficile par notre surdité, tant ce que révèle cette crise met en cause la crédibilité même du message évangélique que nous avons mission d’annoncer. Ainsi, les questions posées aux sociétés occidentales par les membres du peuple de Dieu engagés aux côtés des migrants avec qui le Christ s’identifie, deviennent inaudibles en raison du travail de la vérité qui se fait au même moment sur le cléricalisme, cette dénaturation de l’autorité en abus de pouvoir et de conscience, qu’illustrent les abus sexuels. Aussi longtemps que nous demeurons sourds à la vérité de cette part de notre histoire commune, l’Église entière est menacée de mutisme, empêchée d’annoncer l’Évangile. Tant cette part de son existence relève du contre-témoignage : alors qu’elle est chargée d’annoncer la résurrection du Christ, la victoire de la vie de Dieu sur les puissances des ténèbres et de mort, certains de ses membres sèment la souffrance, la destruction et la mort. Alors qu’elle est chargée de « préparer les chemins du Seigneur », certains de ses membres exercent un abus de pouvoir qui contredit l’attitude de service, par exemple dans le signe du lavement des pieds (Jn 13), à partir de laquelle l’autorité de Jésus a été reconnue par ses disciples et chantée par Saint Paul dans l’hymne aux Philippiens (2, 5-11).
« Effata ! » : Au peuple de Dieu sourd et muet d’ouvrir ses oreilles et sa bouche pour accueillir le Christ ! Entre les abus et rien, il n’y a pas rien. Il y a un espace de conversion au travail de l’Esprit qui ouvre les oreilles des sourds, délie les langues des muets et ouvre les yeux des aveugles pour qu’advienne le règne de Dieu. Pourquoi tant de surdité ? Pourquoi tant de mutisme ? Pourquoi tant d’aveuglement ? Le clergé n’ayant pas le monopole du cléricalisme, ni des abus sexuels, il revient non seulement aux croyants, mais aussi aux hommes et aux femmes de bonne volonté en sympathie avec le message évangélique sans y adhérer, d’aider l’ensemble du peuple de Dieu à revenir à la source baptismale de la mission et de la vie ecclésiale. Puisse l’Esprit nous aider à discerner comment vivre une « chasteté relationnelle », au sens d’une juste, saine et respectueuse relation entre les personnes, dans tous les aspects de la vie de l’Eglise, y compris au plan institutionnel. Pour le travail à entreprendre, puisque l’Esprit-Saint souffle au-delà des limites ecclésiales, nul n’est de trop. « Effata ! » peuple de Dieu !, Portes, levez vos frontons, élevez-vous, portes éternelles, qu’il entre, le roi de gloire ! (Ps. 23)
François Picart, prêtre de l’Oratoire.