En ce temps-là, Jésus s’en alla au mont des Oliviers. Dès l’aurore, il retourna au Temple. Comme tout le peuple venait à lui, il s’assit et se mit à enseigner. Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu’on avait surprise en situation d’adultère. Ils la mettent au milieu, et disent à Jésus : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ils parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve, afin de pouvoir l’accuser. Mais Jésus s’était baissé et, du doigt, il écrivait sur la terre. Comme on persistait à l’interroger, il se redressa et leur dit : « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre. » Il se baissa de nouveau et il écrivait sur la terre. Eux, après avoir entendu cela, s’en allaient un par un, en commençant par les plus âgés. Jésus resta seul avec la femme toujours là au milieu. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle répondit : « Personne, Seigneur. » Et Jésus lui dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. »

Évangile (Jn 8, 1-11)

Méditation

Cette scène nous raconte la manière dont les scribes et les pharisiens tendent un piège à Jésus à propos de son rapport à la loi de Moïse : soit il la respecte et renie l’attitude miséricordieuse envers autrui. Soit Jésus demeure miséricordieux envers autrui, mais alors il viole la loi de Moïse sur l’adultère. Jésus répond en deux temps. Il commence par écrire sur la terre, peut-être en référence à Jérémie 17, 13 : « Seigneur, espoir Israël, tous ceux qui t’abandonnent seront confondus, ceux qui se détournent de toi seront inscrits sur la terre, car ils t’ont abandonné, toi, la source des eaux vives ! ». Dans le second, il prend les pharisiens à contre-pied en se référant, lui aussi, à un précepte de la loi, en Deutéronome 13, 10-11. Selon ce texte, en cas de lapidation, c’est le témoin du crime contre la Torah qui a le droit de jeter la première pierre.

Quoiqu’il en soit de ce que Jésus a écrit sur le sol, le verset de Jérémie présente l’intérêt de cibler différents rapports à l’Écriture, ici dans sa dimension juridique. Là où les scribes et pharisiens utilisaient l’Écriture pour mieux piéger Jésus et condamner la femme, Jésus se réfère à l’Écriture comme une source d’eaux vives, comme chemin de liberté. Les premiers utilisent l’Écriture pour chercher à perdre l’être humain, ici la femme et Jésus, plutôt que de servir sa relation avec Dieu. Jésus est mis en accusation pour son attitude de miséricorde et la femme soumise au rôle mortifère que ses accusateurs font jouer à la loi de Moïse : elle écrase et exerce une violence meurtrière.

Face à la perversité d’un tel rapport à l’Écriture, à une lecture asservissante de la loi de Moïse qui favorise l’emprise sur autrui, Jésus se dégage du piège qui lui est tendu. En réinterprétant la prescription de Dt 13, il place ses interlocuteurs, les pharisiens et les scribes, devant leur propre condition de pécheurs : seul possède le droit de lapider celui qui est sans péché. Liant l’acte à la parole, Jésus rend la femme à sa liberté. Le geste de Jésus consiste donc à rétablir le sens de la Loi, tel qu’il est indiqué en Exode 20, 2-4, dans la manière dont l’Écriture présente le législateur : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison d’esclavage. Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi. Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. » Comment un libérateur pourrait-il cautionner un usage asservissant de la loi ? C’est la raison pour laquelle Jésus démasque l’usage pervers de l’Écriture qu’il démasque. Que celui qui exige une application rigoureuse, voire rigide, de la Loi se l’applique à lui-même ! La scène qui suit montre la justesse de ce raisonnement : le départ des accusateurs est le signe de leur défaite. Chacun se découvre, comme la femme qu’ils avaient amenée, en situation de péché. Ce faisant, chacun s’est reconnu lui-même transgresseur, donc, sous le coup du jugement de Dieu et non en position de l’instrumentaliser selon ses intérêts. Personne n’est en position de juger autrui. L’accusateur rejoint les accusés. Rentré dans le rang des pécheurs, il n’est plus en mesure d’utiliser la volonté de Dieu pour asservir.

À l’inverse, par son attitude miséricordieuse reconnaissable à sa parole et ses actes, Jésus fait connaître à ceux qui l’approchent, ou dont il s’approche, le mystère de la miséricorde qui le fait vivre et dont il rayonne. Cette pratique de la miséricorde restaure les victimes de pratiques asservissantes dans leur dignité, dans leur liberté ouvrant, par là, un chemin de pacification. En incarnant une pratique de la miséricorde qui rend à chacun la place qui lui revient, il atteste d’une compréhension de la miséricorde qui ne s’oppose pas à la justice. Bien au contraire, en lui, il n’y a « pas de paix sans justice et pas de justice sans pardon ».

François Picart, prêtre de l’Oratoire