John Henry Newman sera canonisé par le pape François le 13 octobre 2019 à Rome. Il sera le premier Anglais canonisé, en dehors des nombreux martyrs, depuis 500 ans. Il est l’un des grands penseurs chrétiens des temps modernes (beaucoup voient en lui un homme dont la pensée aurait marqué le concile Vatican II), et un grand maître et guide spirituel.
Newman a vécu de 1801 à 1890. Pasteur anglican, professeur à la prestigieuse Université d’Oxford, il est pendant dix ans le chef de file d’un puissant mouvement de renouveau de l’anglicanisme connu sous le nom de « Mouvement d’Oxford ». Cependant, à force de vouloir réfléchir sur les racines de l’Église d’Angleterre, il en vient à la conclusion que ce n’est pas celle-ci mais l’Église Catholique romaine qui est la véritable continuation de l’Église des premiers siècles. Au prix d’énormes sacrifices personnels et professionnels, il quitte l’Église d’Angleterre pour rallier l’Église catholique le 9 octobre 1845. Rejeté avec virulence par les anglicans et protestants, regardé avec suspicion par nombre de catholiques en raison de ses idées trop « avancées » par rapport à la pensée de l’époque, il finit cependant par obtenir le respect et même l’admiration de chrétiens de toutes confessions et même de nombreux adversaires du christianisme. Il a été élevé au cardinalat par le pape Léon XIII en 1879, déclaré « vénérable » par Jean-Paul II et béatifié par Benoît XVI en 2010.
Pendant les années suivant sa « conversion » au catholicisme, Newman s’est battu pour sortir le catholicisme du « ghetto » dans lequel il avait dû vivre pendant plus de trois siècles. Mais peu à peu son ton devient plus irénique. À partir de 1868, il republie progressivement l’ensemble de ses livres de ses années anglicanes, convaincu que ce qu’il a écrit alors est valable, globalement, pour tout chrétien. D’un signe de division entre les Églises, il est devenu peu à peu un signe d’unité.
Newman est reconnu comme l’un des grands écrivains de langue anglaise, et l’un des plus grands écrivains satiriques (hélas, son ironie subtile échappe parfois à ses traducteurs français !). Il est l’auteur de plus d’une quarantaine de livres, dont douze volumes de sermons et d’une vaste correspondance publiée dans 32 gros volumes. Tous ses sermons, et la plupart de ses autres œuvres majeures, sont maintenant disponibles en traduction française. Non seulement sa pensée théologique, mais son enseignement spirituel aussi sont d’une grande richesse. Il creuse et approfondit le sens de la « conscience », celui de la « foi », celui du « développement » de la doctrine et de toute l’Église, celui de l’exercice de l’autorité au sein de l’Église, parmi d’autres sujets. Comme guide spirituel, il se montre d’une grande exigence et d’une lucidité parfois décapante, mais aussi d’une humanité profonde. Dans un sermon catholique, il déclare qu’il n’y a « pas un pécheur, aussi odieux soit-il, qui ne puisse devenir un saint ; pas un saint, aussi élevé soit-il, qui n’ait été ou qui n’aurait pu être un pécheur ». Et il est convaincu que Dieu peut nous faire avancer vers lui à travers nos erreurs et nos échecs, et que, très souvent, « nous marchons vers le ciel à reculons » !
Newman a fondé l’Oratoire de Saint Philippe Neri en Angleterre en 1848 et se trouve être à l’origine d’une expansion de celui-ci à travers le monde. Bien que l’institut fondé par saint Philippe soit canoniquement distinct de l’Oratoire de France, il est possible à un membre de ce dernier de se reconnaître pleinement dans les enseignements de Newman.
Ce grand intellectuel est aussi un homme de Dieu, un homme centré sur Dieu, ébloui par Dieu, amoureux de Dieu – pas simplement de l’idée de Dieu, mais de sa réalité vivante et de sa présence intérieure. Cette expérience personnelle, et les convictions auxquelles elle donne naissance, il veut les partager avec tous ceux qui acceptent de l’écouter et de le lire. Il nous invite à nous mettre en chemin vers une relation vivante et sans cesse plus approfondie avec Dieu.
Pourquoi le « canoniser » ? Le mot vient du grec kanôn qui désigne à l’origine un roseau employé comme instrument de mesure, et ensuite une norme ou une mesure. En canonisant un homme ou une femme, l’Église propose celui-ci ou celle-ci comme un modèle (selon l’étymologie) pour l’ensemble des fidèles (et aussi, secondairement, comme un intercesseur auprès de Dieu). Cependant, dans le cas de Newman je pense que ce n’est pas simplement l’homme qui est proposé comme modèle, c’est aussi son œuvre et son enseignement. Ce qui ouvre la voie à une dernière et ultime étape, celle de sa reconnaissance comme « Docteur de l’Église », honneur conféré à ce jour à 36 personnes (dont seulement 4 femmes !) et qui signifie que l’enseignement (en latin, doctrina) du saint jouit d’une autorité particulière.
Vivement le « doctorat » de Newman, voulu par tous les papes depuis Pie XII, car on sera obligé alors non seulement de l’honorer mais aussi de le lire.
Keith BEAUMONT
Prêtre de l’Oratoire