« Y a d’la joie sur fond de tristesse » disait Raymond Devos, fin connaisseur de la vie, de ses aléas, de ses interrogations, de ses profondeurs. Pour faire réfléchir, autant que pour exorciser le vertige de vivre mais aussi pour offrir à ses auditeurs de roboratives parenthèses de rire, il s’était fait magicien des mots et de l’humour, avec le succès que l’on sait. Et les raisons de tristesse ou d’inquiétude ne manquent pas, où que se pose le regard. Alors même que le décor de Noël se met en place dans nos rues, que le marché de Noël prend ses quartiers sous la canopée, le quotidien ne perd rien de son poids. Il le perd d’autant moins que « ce-qui-va-mal » trouve de complaisants et efficaces relais dans les médias et les réseaux sociaux où le flux des mauvaises nouvelles – vraies ou fausses du reste – ne s’arrête jamais. Quel dommage ! Quelle fatigue aussi ! Usant ! Les vrais problèmes ne sont que trop préoccupants. Ils causent un vrai souci, appellent de vrais engagements mais on ne joue que trop à se faire peur au point de risquer l’épuisement. Le Messie dont nous fêtons la naissance est arrivé dans le même monde que celui que nous connaissons. Il vient au monde dans un peuple à l’histoire complexe et douloureuse, en des temps d’occupation étrangère. La première annonce de l’heureux événement, nous dit-on, est pour les bergers. Les extrêmes se rejoignent lorsqu’une créature céleste, un ange, annonce aux sans-grade d’ici-bas : « Je vous annonce une grande joie : aujourd’hui un Sauveur vous est né ». Et ledit Sauveur naît dans les conditions de précarité dont ils sont familiers, il entre en humanité par le bas de l’échelle sociale : accueilli dans une grotte et couché dans une mangeoire… on aurait pu rêver mieux pour lui (comme pour tant d’autres) ! Reste que c’est bien la joie que vient proposer cet enfant, le « Divin enfant », lorsqu’il prend l’âpre condition humaine. Et à chaque Noël c’est cette même joie qui s’invite. Désir têtu de joie et de douceur partagées pour faire pièce à la gravité du monde. Dans la personne de Jésus, Dieu sollicite l’hospitalité d’une humanité qui, semble-t-il, n’a pas grand chose à lui offrir. À moins que précisément l’hôte divin ne vienne pour que ses frères et sœurs en humanité n’aient pas seulement regard à ce qui les attriste mais aient aussi regard à ce qui les grandit, leur ouvre le cœur et un horizon de bonheur. De son propre aveu il vient « pour que sa joie soit en nous et que notre joie soit parfaite ». C’est cela que nous accueillons à Noël. Alors : Joyeux Noël à tous et à toutes !
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire.