Si je perds mon téléphone je ne peux plus appeler mon ami ! Mais je peux toujours l’aimer. L’aimer dans le silence, dans la distance, dans l’attente et sans le voir… Si je perds mon téléphone je suis perdu, d’abord affolé puis vite angoissé, je ressens ma vulnérabilité, oui je suis mortel. Mais si je choisis la patience alors je ressens ma transcendance, mon ami est injoignable mais je le vois car je porte en moi son image, je n’entends plus sa voix mais je me souviens de ses paroles, je ne peux le déranger tout de suite mais je compte toujours sur lui et je sais qu’il compte sur moi. Je ne cesse pas d’être important pour lui comme il ne cesse pas d’être important pour moi téléphone ou pas téléphone. « Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel devient fade, avec quoi sera-t-il salé ? Il ne vaut plus rien » Mon téléphone me rend efficace mais ne risque-t-il pas aussi de me rendre fade ? Fade s’il me prend tout, s’il efface tout ce que je peux dire, voir, entendre, sans lui, tout ce que je peux imaginer, rêver, espérer sans lui. Fade si je ne peux plus aimer sans lui. Je me promène dans la rue en évitant les trottinettes et les passants pressés les yeux rivés sur leur écran ou le regard perdu quand ils ont des écouteurs. Nous sommes sur le même trottoir mais pas dans le même espace, pas dans le même temps, ils sont branchés ils communiquent parce qu’ils en ont besoin, moi je me glisse dans les vides laissés par leur passage. Je le pressens nous allons être de moins en moins nombreux à déambuler sans téléphone, est-ce que nous allons être moins nombreux à aimer ? Allons-nous être moins nombreux à « saler » la terre, à révéler sa saveur ? Pas de panique, les générations qui viennent sauront sûrement apprivoiser leur téléphone, et même s’il ne reste qu’une pincée de transcendants savoureux, ne serait-ce qu’une toute petite pincée, l’amour sera sauf. Je ne te donne pas mon numéro, pense à moi cela suffit.
Jacques Mérienne, prêtre du diocèse de Paris