Dans son très émouvant article sur Anton Bruckner*, le père Yves Trocheris insistait à juste titre sur sa profonde spiritualité, sur la sincérité et la vérité de sa musique qui nous plonge dans un espace sonore inédit qui n’a pour seul horizon que celui de l’éternité.

Toute son œuvre est marquée par cette « sublime religiosité » qu’évoque le chef d’orchestre autrichien Bruno Walter, par cette ferveur intense, cette puissance de recueillement si extraordinaire. On pourrait se sentir perdu dans de telles immenses cathédrales sonores mais c’est le cœur de cet homme attachant, modeste et bienveillant, que l’on entend vibrer en leurs centres, ce cœur que Blaise Pascal considérait comme l’organe de la ferveur spirituelle.

Il faut certes accepter une certaine lenteur mais cette puissance tranquille brûle d’un incroyable feu intérieur. Sa foi transparait dans nombre de ses œuvres, elle est de nature émotionnelle ; confronté aux assauts de la critique, à de nombreux échecs amoureux, souffrant d’extrême solitude, Dieu était plus qu’un solide soutien, son unique réconfort. Dès lors, il chercha ardemment toute sa vie à se montrer digne de lui et ne composa pas une seule note sans penser que Dieu l’écoutait et lui ouvrirait grand les portes du paradis.

Il y a là non pas une simple corpus musical mais une véritable métaphysique sonore, un cosmos symphonique où pointent parfois la tristesse, la mélancolie, le doute, le désespoir, une sorte d’angoisse existentielle que l’on entend clairement dans le finale des symphonies 4 et 9 (inachevée). Comme chez Beethoven (qu’il vénère), Schubert (qu’il admire) ou Mahler (qui suivit certains de ses cours à l’université de Vienne), sa musique reflète tous les tourments de son drame intime.

Pour autant elle n’est jamais pessimiste. Ses symphonies en quatre mouvements nous proposent un itinéraire, un chemin, qui mène de la tristesse ou de la désolation à un finale apothéotique baigné de lumière (symphonies 5, 7, 8). La confession intime, émaillée de silences, se fait révélation et éveille en nous la puissance des sentiments les plus nobles qui dormaient merveilleusement dans notre cœur.

Eric Chaillier, musicologue, auteur de Anton Bruckner ou l’immensité intime (Buchet-Chastel, 2022)

* Forum Saint-Eustache n°67, été-automne 2024, page 7

Eric Chaillier a donné une conférence intitulée “Anton Bruckner, miracle de vitalité spirituelle” le dimanche 24 novembre 2024 à 15h30 à Saint-Eustache.