Depuis le début du Carême nous avons suivi Jésus tenté au désert, transfiguré sur le mont Horeb, rencontrant la femme de Samarie. Dimanche prochain ce sera la résurrection de Lazare.
Mais aujourd’hui nous sommes avec Jésus et l’aveugle-né. C’est un texte long, difficile à suivre peut-être, car les personnages entrent et sortent comme dans une pièce de théâtre. Regardons de plus près l’histoire qui nous est rapportée.
Nous sommes un jour de sabbat et Jésus sort du temple où il est allé prier, accompagné de ses disciples. Sur son passage il voit un homme aveugle de naissance. Une question tout de suite surgit parmi ses disciples : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents,
pour qu’il soit né aveugle ? »
La réponse de Jésus fuse, ni lui, ni ses parents. Dans la foulée, il déclare « je suis la lumière du monde », crache à terre, fait de la boue avec sa salive et l’applique sur les yeux de l’aveugle puis lui dit d’aller se laver à la piscine de Siloé (envoyé). Ce que fait l’aveugle et quand il revient il voit.
Qu’est-ce qui est en jeu dans ce récit dont il faut prendre le temps de le lire et le relire tellement il est riche ?
Quelques points que je voudrais souligner parmi tant d’autres.
Lien entre péché et infirmité. Qui a péché ? Qu’ont-ils fait lui et ses parents pour mériter cela et subir les conséquences de la punition divine ? Ni lui, ni ses parents répond Jésus venant ainsi briser ce lien entre péché et infirmité qui était la foi de ses contemporains. Une foi qui disait que Dieu était à l’origine de tout y compris des malheurs. Et nous, aujourd’hui, quelles traces de ce Dieu-là avons-nous encore au fond de nous ? N’y resterait-il pas quelque chose comme « qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ça ? » Lien entre le malheur qui nous arrive et la punition divine.
Qui est vraiment le Dieu auquel je crois et puis-je le prier en toute confiance ?
Du doute à l’aveuglement. Dans ce texte le doute court partout : doute sur l’identité de l’homme « est-ce bien lui l’aveugle-né ? non c’est quelqu’un qui lui ressemble… Il faut que les parents attestent que c’est bien leur fils, né aveugle mais cela ne suffit pas. Doute sur la guérison elle-même car si cet homme qui voit maintenant n’est pas l’aveugle né alors il n’a pas été guéri et ce n’est pas l’œuvre de Dieu. Doutes sur Jésus, mais qui est-il ? Pas de Dieu disent les pharisiens qui eux savent qui est le vrai Dieu. Devant eux l’ancien aveugle témoigne par deux fois de sa guérison, parlant avec clarté de ce qui lui est arrivé et nommant celui par lequel c’est arrivé : Jésus, un prophète, le Seigneur. Mais les pharisiens ne peuvent croire que cet homme « tout entier dans le péché depuis sa naissance » puisse leur faire la leçon et en savoir plus qu’eux, ils ne veulent pas s’en laisser conter par un homme de rien !
C’est ainsi que l’aveuglement prend le pas sur le doute. Il ne leur est plus possible de voir autre chose. Leurs savoir les rend aveugles et les met dans l’impossibilité d’accueillir toute nouveauté qui surgit et déplace.
Des ténèbres à la lumière. Qui est aveugle dans cette histoire ? Etonnamment le seul qui voit est l’aveugle né. Les autres refusent de voir ce qui pourtant est une évidence : il était aveugle et maintenant il voit. Oui, l’homme aveugle de naissance semble bien le seul à y voir clair dans toute cette histoire. C’est un comble tout de même ! Qu’est-ce que la vue retrouvée de cet homme aveugle de naissance ?
Il sort de la nuit où il était plongé depuis sa naissance. Il en fait un récit factuel. C’est celui qu’on appelle Jésus « qui m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois »
Il entre dans la lumière car, la deuxième fois, il ajoute devant les pharisiens toujours incrédules « je vous l’ai déjà dit et vous n’avez pas écouté… Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire » Il accède ainsi à la véritable identité de Jésus. Il est capable, face aux savants de dire, lui, qui est Jésus et d’attester des œuvres de Dieu.
Il est intéressant de noter que c’est par un geste et non par une parole que Jésus le guérit. L’homme s’est laissé toucher au sens premier du terme par les mains de Jésus. Il ne s’agit pas ici d’un onguent magique, mais c’est comme le suggère saint Irénée de Lyon (évêque vers 135) « Lorsqu’il eut affaire à l’aveugle-né, ce ne fut plus par une parole, mais par un acte, qu’il lui rendit la vue : il en agit de la sorte non sans raison ni au hasard, mais afin de faire connaître la Main de Dieu qui, au commencement, avait modelé l’homme. » Saint Irénée rappelle qu’au commencement le modelage de l’homme dit la promesse de Vie donnée au travers de l’alliance entre Dieu et l‘humain.
Je m’appuie sur ces mots de saint Irénée pour vous partager ce qui, pour moi, est le cœur de ma foi. Je crois en la promesse de Vie qui traverse toute la bible.
Mais qu’est-ce que cette promesse de vie ? Une promesse qui nous fait aller des ténèbres à la lumière ainsi que le dit saint Paul dans la deuxième lecture.
Depuis toujours, de soi-disant prophètes en tous genres se lèvent pour nous promettre le bonheur, la paix de l’âme et la vérité. De faux prophètes ont été démasqués dans l’Église encore très récemment, qui ont semé et sèment encore le malheur en ayant rendu aveugles trop de personnes autour d’eux. Alors qui croire et comment croire ?
Ce que Jésus ne cesse de faire au long des récits évangéliques, c’est de nous partager la bonne nouvelle du Royaume de son Père. Cette promesse, nous rappelle-t-il sans cesse n’est pas lettre morte car elle s’actualise dans sa personne. Quand, au début de notre évangile de ce jour, il affirme « je suis la lumière du monde » il ne parle pas comme un illuminé (pardon pour le jeu de mots !) mais comme celui qui légitimement peut l’affirmer.
Je suis la lumière du monde ! Mais de quelle lumière s’agit-il ?
Dans un monde obscur, bouleversé, tenaillé par le doute et les malheurs en tous genres, qu’est-ce que cette Lumière et comment peut-elle nous aider ?
Nous allons fêter Pâques très bientôt. Mais avant de fêter Pâques, nous allons passer par le Samedi saint et son silence. Où est passé Jésus ? Contemplons-le qui descend aux enfers pour aller nous récupérer là où nos nous ne pouvons plus remonter seuls. Il nous relève dans la paume de sa main et nous ramène vers la Lumière, vers la Vie. En cela il affirme qu’il a vaincu la mort et que la Vie est plus forte que toute mort. C’est sur cette espérance déjà là dans nos vies et non pas seulement pour après, quand nous serons morts, que ma foi aujourd’hui est assise.
La guérison de l’aveugle-né n’est pas un épisode de plus des guérisons faites par Jésus, un de ces miracles auxquels nous ne croyons que du bout de la pensée et de l’âme comme si elle ne nous concernait pas.
Ce récit, comme tous les autres d’ailleurs, renvoie chacun de nous à la façon dont nous accueillons ou non pour nous-mêmes ce qui y est relaté. Sommes-nous l’aveugle-né ? Avons-nous besoin qu’on nous ouvre les yeux sur la vraie lumière pour les yeux comme pour le cœur ?
Il est vrai que la vie et son cortège de malheurs nous rendent vulnérables car nous voyons bien que la vie ne s’allège pas comme cela d’un coup de baguette magique. Comment croire alors que nous pouvons nous aussi, comme l’aveugle-né être soulagés du poids trop lourd que nous portons ?
« Ceux qu’on appelle les honnêtes gens, parce qu’ils ne sont pas blessés, ils ne sont pas vulnérables… La charité même de Dieu ne panse point celui qui n’a pas de plaies. C’est parce qu’un homme était par terre que le Samaritain le ramassa. C’est parce que la face de Jésus était sale que Véronique l’essuya d’un mouchoir. Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé, et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé.” (Charles Péguy)
L’aveugle-né était blessé et il a été pansé. Il est devenu celui qui voit le mieux.
C’est cela Pâques.
Isabelle le Bourgeois, sa.
19 mars 2023
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