Par le motu proprio Aperuit Illis (AI) publié en 2019, le pape François a institué le « Dimanche de la Parole de Dieu », célébré chaque année le 3ème dimanche du Temps Ordinaire.
Une seule source : Bible et Tradition
L’instauration d’une telle journée lors de la Semaine de Prière pour l’Unité des Chrétiens, s’inscrit dans la continuité de la voie ouverte par le Concile Vatican II à propos de la Révélation divine. Là où d’aucuns seraient tentés de considérer l’Ecriture (la Bible) et la Tradition de l’Eglise (le Credo, la liturgie, l’éthique) comme « deux sources » distinctes, égales, chacune révélant sa part de vérité sur Dieu, le Concile tient que la Révélation n’a qu’« une seule source », la Parole de Dieu qui culmine en Jésus-Christ, le Verbe fait chair ; celle-ci nous parvient à la fois par la Tradition et l’Ecriture. Cela suppose donc d’interpréter l’Ecriture (qui contient la Parole de Dieu) et la Tradition (qui la transmet). Il s’agit, insiste par la suite Benoit XVI cité par François, de « passer de la lettre à l’esprit ». Et de préciser : « Sans l’action de l’Esprit Saint, le risque d’être enfermé dans le texte serait toujours un danger, rendant facile l’interprétation fondamentaliste, d’où nous devons rester à l’écart. Comme le rappelle l’Apôtre, ‘‘la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie’’. Le Saint-Esprit transforme donc la Sainte Ecriture en une Parole vivante de Dieu, vécue et transmise dans la foi de son peuple saint » (AI 9).
La parole en dehors des mots : le Maitre intérieur
Cette interprétation du texte biblique – que l’on peut qualifier de spirituelle – trouve son fondement dans la foi chrétienne elle-même : la formule trinitaire rend compte de la structure du langage humain. Ainsi, « les paroles de Dieu, passant par les langues humaines, sont devenues semblables au langage des hommes, de même que jadis le Verbe du Père éternel, ayant assumé l’infirmité de notre chair, est devenu semblable aux hommes. C’est comme dire que l’Incarnation du Verbe de Dieu donne forme et sens à la relation entre la Parole de Dieu et le langage humain, avec ses conditions historiques et culturelles » (AI 11). C’est une façon de dire qu’« au commencement était le Verbe », comme l’écrit le prologue de l’Evangile de Jean : la parole ne peut prendre chair sans la précédence du Verbe, nul ne parle sans avoir été parlé. Ce qui parle se fonde donc non sur un texte, mais sur une parole originaire, une parole en deçà ou au-delà des mots – Blanchot parlerait ici de l’« Être qui est Parole ». La lecture spirituelle de l’Ecriture nous renvoie, en réalité, vers un « dehors » du texte biblique. C’est, me semble-t-il, le « maitre intérieur » que mentionne saint Augustin dans son traité De magistro : « La vérité de ce qui est dit, celui-là seul nous l’enseigne qui, lorsqu’il parlait à l’extérieur, nous avertit qu’il habite à l’intérieur » (14, 46). Autrement dit, la vérité de la Parole de Dieu est dans une extériorité où ce qui parle est un dehors au-dedans de soi. Ce dehors n’est pas le texte biblique lui-même, il est plutôt ce qui, du dehors, est au plus intime de soi, donc l’Autre en soi, qu’Augustin appelle « le seul véritable maitre » ou « le maitre intérieur ».
Ce qui parle en acte : la solidarité
L’écoute de la « Parole vivante de Dieu » – dont ce dimanche voudrait être un signe fort – trouve là sa forme authentique : elle se fait présence à l’Autre, ouverture au dehors, attention à autrui. Ainsi, le pape conclut : « Ecouter les Saintes Ecritures pour pratiquer la miséricorde : c’est un grand défi pour notre vie. La Parole de Dieu est en mesure d’ouvrir nos yeux pour nous permettre de sortir de l’individualisme qui conduit à l’asphyxie et à la stérilité tout en ouvrant grand la voie du partage et de la solidarité. » (AL 13).
Père Romain Drouaud, Vicaire à Saint-Eustache.