« Elle est où cette expo, j’ai rien vu ? » Et pourtant si ! il avait vu : « c’est quoi ces vitres que vous avez mises pour remplacer les grilles du chauffage ? » Le « c’est quoi ça ? » montre que l’œuvre de Hélène Janicot Lifts avait atteint son premier objectif, interroger le passant pour qu’il devienne un « pensant ». Minimum et conceptuels sont les paramètres qui définissent précisément ces trois œuvres de la jeune artiste actuellement « à l’œuvre » à Saint-Eustache : Temple Pulse, Lifts et Meta Flexion.

Une pratique de l’art qui peut paraître radicale, mais qui permet à de jeunes artistes de s’échapper du mille-feuille de crises dans lesquelles nous sommes engagés, crises économiques et écologiques, sociales et mentales, culturelles et spirituelles, qui font une crise de civilisation s’ouvrant sur une nouvelle époque naissante ? Nos moyens de connaître, d’agir, de nous exprimer se multiplient, mais à quelle fin ? Sommes nous plus libres, plus intelligents, plus féconds ? Hélène Janicot, comme avant elle pour la Nuit Blanche Benjamin Loyauté, nous ouvrent des pistes.

Paradoxalement, alors que l’art contemporain paraît beaucoup plus simple, voire rudimentaire, que l’art ancien, classique ou moderne, tellement plus simple qu’on se dit qu’on pourrait le faire soi-même, l’acte de création lui-même est beaucoup plus caché qu’avant, il ne se manifeste plus dans les domaines esthétiques, iconographiques, ni même thématiques, « de quoi ça parle ? », mais avec des éléments minimum il va profondément en nous trouver l’endroit en fusion où quelque chose peut et doit renaître.

Cela fait que la matière, le matériau, le réel ne sont plus immédiatement saisissables et qu’un voile de concepts et de doutes tend à s’interposer entre la réalité et nous, si matière il y a, c’est matière à pensée. L’artiste joue avec, et le spectateur ne peut saisir son œuvre que s’il entre dans le jeu et que cela devienne son jeu. Quand on joue ensemble vient l’émotion.

Une émotion féconde en réflexion et découverte de soi, et puisque ces trois œuvres sont exposées dans notre église pourquoi ne pas poursuivre cette réflexion jusqu’à interroger notre pratique spirituelle ? Des choses auxquelles l’artiste n’a pas forcément pensé mais que son œuvre, en lui échappant, stimule.

C’est quoi Temple Pulse, des filins remplaçant des traits de crayon, dessinent un pilier de l’église, comme un croquis à la même échelle, mais ils sont trop courts, des aimants les maintiennent en tension. Ce pilier ne tient pas par sa forme mais par l’énergie qu’il renferme et qui le tend, énergie plus forte que la forme puisqu’elle franchit la faille sans que la tension ne diminue, à l’image de notre foi dont l’énergie traverse les doutes et les ruptures sans faiblir pour nous tenir debout. C’est quoi Lifts, des plaques de verre ont remplacé deux grilles de chauffage à travers lesquelles passait l’air chaud venant du sous-sol.

Les grilles de chauffage m’évoquent les grilles des confessionnaux d’autrefois à travers lesquelles filtraient les péchés du pénitent et la grâce du confesseur, pour que la vérité nue ne s’expose pas. Si elle s’expose trop directement comme aujourd’hui, la vérité intime de nos vies explose ou se dissout, saurons-nous vivre suffisamment intensément pour qu’elle résiste.

C’est quoi Meta Flexion, une dalle de béton préserve la trace d’un agenouillement, ou plutôt d’une génuflexion, acte de piété que l’on trouve dans toutes les religions, qui frappe parce qu’on ne le trouve pratiquement plus que dans les religions. Les deux tableaux de Dhewadi Hadjab exposés en 2021 présentaient déjà cette posture du corps avec des prie -Dieu. Le geste naturel et spontané des fidèles d’autrefois est devenu rituel et liturgique. Comment notre foi s’incarne-t-elle, comment s’exprime-t-elle au quotidien dans notre corps aujourd’hui ?

 

                                                                                                                                                                                          Jacques Merienne, vicaire à Saint-Eustache