Un artiste immense et très proche vient de terminer son parcours, et nous restons au bord de la route. Christian Boltanski a une histoire avec saint-Eustache :
« Le Jeudi Saint (1994) qui rappelle le dernier repas partagé, une grande table avait été dressée dans la nef et les gens étaient invités à laisser un manteau en quittant l’église. Le Vendredi, les manteaux ont été installés dans la nef comme des dépouilles. Et il y avait ces trois manteaux dans le chœur, qui représentaient le Christ et les deux larrons. Le jour de Pâques, les manteaux ont été empilés de chaque côté de la porte, où l’on sert la soupe en hiver et que l’on rouvre le jour de pâques. Chacun était invité à prendre un manteau et à le mettre dans une voiture qui partait en Bosnie, où la guerre faisait rage ».
Des vêtements entassés on en retrouvera quelques années plus tard dans le Grand Palais, soulevés par une grue. À l’époque et à l’initiative du père Gérard Bénéteau, à contre-courant de l’attitude pusillanime des paroisses parisiennes à l’égard du SIDA, une galerie dont les recettes était employées pour les malades, avait été ouverte à la Pointe : entre autres, Christian Boltanski et Annette Messager qui a été sa compagne, venaient parrainer de jeunes artistes. N’ayant pas été scolarisé son rapport au monde a été prosaïque et fulgurant, toujours chercher et trouver dans ce qu’il y a de plus ordinaire ce qui montre le plus de profondeur, rejoindre l’universel par le détail, si bien que les grands mots justice, souffrance, fraternité, vérité, mort, n’arrivent pas à décrire son œuvre. Il m’a fait pénétrer de manière hypersensible le mystère de Pâques nous faisant couper en deux horizontalement la nef de saint-Merry avec une immense bâche noire pendant la semaine sainte, bâche qui s’est levée en position verticale le soir de Pâque au milieu du transept pour finalement s’ouvrir en deux et laisser passer un flot de lumière éblouissante. Il était par son père médecin, d’une famille immigrée d’Odessa ralliée avec sincérité à la foi chrétienne et à l’identité française, mère écrivaine, frères linguiste Jean-Élie, et sociologue Luc, sœur photographe Anne, une famille solidaire dans laquelle on vit la tête à l’envers et où on se parle, dira son neveu Christophe journaliste et écrivain. Christian savait ne pas masquer ni encore moins désigner la réalité, juste « mettre le doigt dessus ». L’artiste contemporain est celui qui l’air de rien nous donne un bon conseil… qui change tout.
Jacques Mérienne, prêtre du diocèse de Paris