L’œuvre sera présentée en l’église Saint-Eustache pendant le Temps Pascal 2020.
Pascal Convert
Cristallisation #3 – 2014
Verre, plâtre, charbon de bois,
96 x 40 x 25 cm
Maître verrier Olivier Juteau
Courtesy galerie Eric Dupont, Paris
Sacré en tant que représentation de la figure divine et en tant qu’oeuvre d’art, cette sculpture en ronde bosse antique d’échelle quasi humaine du Christ a eu à subir une opération sacrificielle de “cristallisation”. Olivier Juteau, maître verrier qui réalise les œuvres en verre de Pascal Convert depuis plusieurs années, a décrit avec précision le rituel permettant cette opération qui produit une transmutation du bois en cristal.
Trouvez un vieux christ en bois. Dépoussiérez et brossez la surface du bois. Enlevez les rebouchages douteux effectués lors des restaurations précédentes. Purgez tous les apprêts faits au plâtre. Retirez toutes les parties métalliques en les recherchant en promenant un aimant sur le corps du christ. Rebouchez à la cire les trous indésirables et au besoin compléter avec de la cire les parties manquantes.
Positionnez les jets d’alimentation en cire et les évents en cire. Montez au pinceau une première couche de plâtre réfractaire pour bien prendre tous les détails. Installez l’armature métallique devant contenir la pression du verre liquide. Coffrez l’ensemble et coulez le moule réfractaire autour du christ. Après 48 heures et après décoffrage enfournez parfaitement à l’horizontal. Disposez dans le four et au-dessus du moule, les procédés d’alimentation en verre du christ. Étuvez le moule à 120°C jusqu’à ce qu’il ne dégage plus de vapeur d’eau. Cuisez jusqu’à 550°C et appréciez visuellement la combustion de l’original en bois. Montez le four progressivement à une température de 880°C. Dès que cette température est atteinte, commencez à alimenter en verre. Arrêtez l’alimentation quand le verre ressort par les évents, attention cela se fait doucement et prend une vingtaine d’heures. Laissez refroidir jusqu’à 580°C et restez-y au moins 48 heures. Faites refroidir extrêmement progressivement sur une durée d’un mois et demi, jusqu’à la température ambiante. Sortez le moule du four et commencez à démouler précautionneusement en respectant la volonté de l’artiste. Consolidez si nécessaire avec de la résine les parties du plâtre réfractaire trop tendres que l’artiste souhaite garder autour. Réparez les fissures inévitables, rebouchez certains manques si besoin. Brossez la surface de la sculpture.
Cette “recette” décrit ce qui peut ressembler une “paisible tuerie”, mais au sentiment initial d’horreur face à ce geste iconoclaste décisif succède l’impression de se trouver devant le fantôme d‘ « une mer de cristal mêlée de feu » (Apocalypse de Jean 15, 2). L’opération de cristallisation qui convertit une sculpture en bois en une sculpture en cristal est une opération mystérieuse de transsubstantiation.
Dans deux récits autobiographiques1 Pascal Convert est revenu sur son rapport à la religion durant son enfance, rapport lié à sa mère :
« Le seul élément singulier concernant ma naissance pourrait être que ma mère ait décidé de me prénommer Pascal : étant né quatre jours après la naissance du Christ, Noël aurait été un prénom plus désigné. Son choix n’était illogique qu’en apparence. En me condamnant à porter le nom de l’agneau de Pâques, agneau égorgé lors du mystère
de la Résurrection, agneau de Dieu qui enlève le péché du monde, ma mère me donnait la lourde charge d’écarter d’elle l’ange de la folie qui, depuis sa naissance, un Vendredi saint, jour de la crucifixion et de la mort du Christ, rôdait, s’approchant toujours plus près d’elle. Cela a donc été « Pascal ». A peine né, la Passion et la Résurrection comme promesse. (…) Je me souviens avec précision que vers l’âge de dix ans un livre à la tranche dorée consacré aux enfants illustres avait attiré tout mon intérêt. Et, confondant prénom et patronyme, je m’identifiais au célèbre mathématicien et métaphysicien Blaise Pascal (…). Cette « visitation » de Pascal, ajoutée à une ambiance familiale peu sensible à la rationalité, m’a fait perdre le peu de lucidité qu’il me restait. Plus le sens des Pensées de Pascal m’était obscur, plus elles me protégeaient de la folie qui m’entourait. « Par ceux qui sont dans le déplaisir de se voir sans foi, on voit que Dieu ne les éclaire pas ; mais les autres, on voit qu’il y a un Dieu qui les aveugle. » Tétanisé, j’étais incapable de comprendre la logique d’une telle phrase, et le mystère de Dieu en devenait plus grand. La proposition pascalienne finissait de me convaincre que celui que je prenais naïvement pour ma première incarnation pouvait me guider vers un jardin de fleurs en cendres où je serai délivré de la souffrance de vivre : « Afin que la passion ne nuise point, faisons comme s’il n’y avait que huit jours dans la vie ».
(…) Malgré le sacrifice qu’il suppose, je préfère le prénom Pascal et l’image paisible des cloches ailées en route vers Rome qui lui est associée à celle du père Noël. Les jours de grandes angoisses, ma mère arrêtait la pendule comme si ce simple geste suffisait à arrêter le temps. Puis elle s’asseyait sur un coussin de velours noir brodé de soie sur le bord de son lit. Regardant un crucifix en faïence posé sur sa table de nuit, elle faisait cette étrange prière : « Mon Dieu, je ne puis plus rien pour moi. Prends ma place».
1 La constellation du lion, éd. Grasset, 2013, Conversion, éd. Filigrane, 2017.