Depuis plusieurs mois, nous sentons que nous vivons dans un monde où beaucoup d’organismes qui nous semblaient stables se fissurent. Nous sommes secoués par des crises buttant les unes contre les autres comme des autos tamponneuses. Crises écologiques, migratoires, du projet Européen, des institutions politiques et religieuses, du cléricalisme et des scandales d’abus dans l’Église catholique… Toutes ces réalités rendent notre présent instable et reconfigurent notre avenir. Dans cette recomposition douloureuse, la tentation est de chercher des boucs émissaires pour justifier le mal être. Depuis les années 2000, mais plus particulièrement ces derniers mois et semaines, apparaissent des actes antisémites, comme si des verrous avaient cédé, lâchant l’odieux et le nauséabond. Cette montée d’antisémitisme, l’histoire des deux derniers siècles nous l’a appris, est signe d’un débordement rendant possible toutes les intolérances pouvant aller jusqu’au meurtre. Un chrétien ne peut souscrire à des pensées et à des gestes antisémites, y être de quelque façon complice. Ces actes doivent être dénoncés et proscrits. Pourquoi ? Il en va d’abord de notre vie républicaine, de la fraternité citoyenne interdisant toute discrimination. Enfin, parce qu’un baptisé ne peut ignorer que Jésus de Nazareth était fils d’Israël. On ne peut comprendre le titre de « Christ » donné à Jésus sans le relier à son peuple ; son ministère ne se comprend que dans le prisme de l’Alliance portée par le peuple juif dans le temps de l’histoire. L’expression de la foi chrétienne n’est possible qu’en recevant l’intégralité de la révélation qui nous a été donné par le peuple juif, ce que nous appelons les Écritures. « Nostra Aetate », cette déclaration du Concile de Vatican II sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, rappelle que « Les Apôtres, fondements et colonnes de l’Église, sont nés du peuple juif, ainsi qu’un grand nombre des premiers disciples qui annoncèrent au monde l’Évangile du Christ… L’Église réprouve donc, en tant que contraire à l’esprit du Christ, toute discrimination ou vexation dont sont victimes des hommes en raison de leur race, de leur couleur, de leur condition ou de leur religion. » Allant plus avant dans l’enseignement du Concile, l’Église exprime dorénavant dans la liturgie de la Passion du Vendredi Saint cette prière à l’égard de nos frères juifs : « Dieu de Paix, nous prions pour le peuple de la Première Alliance : qu’ils progressent toujours dans ton amour et qu’ils soient fidèles à ton alliance ! » En raison de l’espérance qui est la nôtre, nous devons demeurer des veilleurs et éteindre dès qu’il apparait, ce mal qui prolifère dans les consciences endormies : l’antisémitisme est un poison qui rend inaudible l’espérance portée par les fils d’Israël et l’Église, à savoir le don de la Paix pour l’humanité entière. Il existe un procès dans le temps de l’histoire que les hommes font à cet inconnu qu’est ce « Dieu » de l’Alliance. L’antisémitisme brouille la révélation de Dieu portée par ces deux peuples témoins que sont Israël et l’Église. Si nous n’acceptons pas le jeu de cette double élection, je le crois par la foi, notre monde ne pourra jamais entrer dans ce monde de la pluralité humaine acceptée, de la fraternité à laquelle pourtant toute l’histoire des hommes aspire.
Antoine Adam, prêtre de l’Oratoire, vicaire à Saint-Eustache.