Parmi les innombrables interprétations du récit de la Passion que nous proclamons le dimanche des Rameaux, la création de Jérôme Bosch, le « Portement de Croix », est probablement l’une des plus oniriques. Le peintre hollandais a peint la scène du chemin de croix comme un cauchemar. Un fouillis de visages malveillants danse autour de la tête du Christ. Les têtes grotesques, terrifiantes, évoquent autant de masques portés pendant les mystères de la Passion. Bosch en fait un carnaval stupéfiant de détails chimériques, exubérants et épouvantables. Des sommes de détails dont l’historien de l’art, Daniel Arasse, note que, loin de contribuer à une quelconque « drôlerie », elles « ont pour but de susciter une forme d’effroi », soulignant aussi « l’opposition latente entre la spiritualité chrétienne et son investissement diabolique ».

 

Au milieu du cauchemar, le Christ se tient étrangement calme, concentré et grave, en retrait. Les yeux fermés, exclu du carnaval de haine et d’opprobre qui l’entoure, le visage serein, doux, du Christ est devenu invisible. Qui verra l’« Homme de douleurs » (Is 53, 3), effacé de tous ? Qui verra le Sauveur, sous les traits méprisés des « plus petits » (Mt 25, 45) ?

 

Sommes-nous à ce point traversés par des forces destructrices que nous ne nous contenterions pas d’exclure ceux qui n’occupent pas le haut du rang, mais nous acharnerions également à les effacer, à les « invisibiliser » ? Des initiatives redonnent pourtant la possibilité de reconnaitre la grandeur des « vies invisibles ».

 

656 personnes sont décédées dans la rue durant l’année écoulée. Elles avaient 48 ans en moyenne, dont 68 femmes, 10 personnes de plus de 80 ans, et 10 enfants de moins de 4 ans. Raconter leurs parcours, publier leurs prénoms, leur rendre hommage, c’est ce qu’a fait le « Collectif Les Morts de la rue » ce mardi 19 mars – pour que chacun soit quelqu’un.

 

Près de 300 personnes précaires, invités précaires et bénévoles de la Soupe et de la Pointe Saint-Eustache, participeront, le lundi 25 mars, au spectacle « Luminiscence » qui se joue chaque soir depuis le mois de février dans notre église – pour que chacun prenne part au carnaval de lumière.

 

Romain Drouaud, vicaire à Saint-Eustache