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Homélie du père Jacques Mérienne
Pour une fois mettons-nous dans la tête de ceux qui s’opposent à Jésus, de ceux qui sont scandalisés parce qu’il a guéri un aveugle le jour du sabbat, ou plutôt parce qu’il « cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé », c’est-à-dire parce qu’il a fait un petit travail manuel alors qu’il aurait dû garder le repos absolu devant l’homme enfermé dans les ténèbres et ne pas l’envoyer lui aussi, à pied marchant plus que permis, se laver le visage. Le sabbat est pour eux la marque, le signe concret, la trace de l’Alliance entre Dieu et son peuple, la preuve de l’existence d’un peuple lié à Dieu sur cette terre. L’envoyé de ce Dieu ne peut pas renier l’Alliance entre Dieu et les hommes, ce serait renier celui-là même qui l’envoie et du coup détruire ce peuple. Pour eux Jésus ne peut donc venir de Dieu, d’où vient-il ? Du diable assurément. Notons que dans leur raisonnement est totalement absent le fruit du geste de Jésus, qu’un aveugle désormais voie, et donc quand ils doivent se rendre à l’évidence qu’un aveugle-né désormais voit, ils vont s’enfermer dans le déni : cela ne peut pas avoir eu lieu, il y a forcément une imposture. Personne ne comprend ce qui vient de se passer et pour le montrer Jean rédige un récit épico-comique d’allers et venues d’acteurs perdus et fuyants, qui aboutit à une simple rencontre, échange de regards nouveau tant pour l’ancien aveugle que pour Jésus qui se voit en lui.
Quand il fait voir un aveugle, quand il fait marcher un paralytique, quand il fait entendre un sourd, Jésus, même s’il fait cela un jour de sabbat, et surtout s’il fait cela un jour de sabbat, ne nie pas l’Alliance du peuple avec son Dieu, au contraire, il inaugure une Nouvelle Alliance de tous les hommes avec ce Dieu. Il respecte et partage l’attachement des pharisiens pour le sabbat, mais il refuse que ce soit un dogme mort qui ne produise plus rien. Il réalise ce pour quoi l’ancienne Alliance définie par la Loi de Moïse était faite, pour déboucher sur une nouvelle Alliance définie par la Foi de ceux qui entendent la parole parce qu’il ne sont plus sourds, ceux qui s’engagent dans le chemin parce qu’ils ne sont plus paralysés, ceux qui voient la lumière parce qu’ils ne sont plus aveugles. Il n’y a pas imposture il y a dépassement et accomplissement. La Loi et la Foi, saint Paul l’explique à longueur de lettres, ne s’opposent pas, elles ont le même objectif d’unir Dieu et l’humanité, mais la Loi enferme quand la Foi libère, la Loi soumet quand la Foi décide librement.
Il est bon de prendre le temps de méditer ce passage de la Loi à la Foi (et donc de relire par exemple l’évangile de saint Jean et les lettres de saint Paul, le carême confiné est propice). Pour les raisons que vous savez il est imposé à beaucoup d’entre nous un « sabbat » sur plusieurs semaines, nos travaux sont suspendus, nos liens sont distendus, notre vie est bouleversée, et hélas pour les autres elles est surchargée ou mise en danger. La Loi nous enferme au sens propre. C’est pour le bien de tous, à commencer par le sort des victimes, c’est une solidarité qui se traduit par la séparation, la mise à distance. Si nous avons la foi saurons-nous dépasser et accomplir ce sabbat extraordinaire ? Renvoyés à nous-mêmes saurons-nous trouver cette force intérieure qu’admirait Jésus quand il répondait à celui ou celle qui venait vers lui en rompant le sabbat : « ta foi t’a sauvé ! ». Bérulle ajoutait : « parce que tu le veux ». Le recul qui nous est imposé nous permettra-t-il d’approfondir le sens de nos vies et au besoin de vouloir les dépasser, vouloir en modifier le cours pour aller mieux, aller plus loin, aller vers plus de lumière. La rupture des liens avec nos proches et nos collègues nous fera-t-elle prendre conscience de ce qu’ils ont de vital pour eux comme pour nous, et qu’on peut dépasser la solidarité vers la fraternité. Soyons réalistes, dans les semaines qui viennent beaucoup d’entre nous risquent de se retrouver dans des situations très difficiles qui handicaperont leur avenir. Ils auront besoin de notre aide désintéressée, comme nous-mêmes pourrons avoir besoin d’être secondés ou secourus. La sortie de crise sera longue, si longue qu’il nous faudra sûrement quelques sabbats pour souffler, pour prier, pour aimer.
Jacques Mérienne
Prêtre du diocèse de Paris