3e dimanche du Temps ordinaire (C)
Ne 8, 2-4a.5-6.8-10 / Ps 18 (19) / 1 Co 12, 12-30 / Lc 1, 1-4 ; 4, 14-21

Aujourd’hui, 25 janvier, un jour important, nous faisons mémoire de la « Conversion de saint Paul », (et ce n’est pas tout à fait étranger à ce que je vais évoquer à l’instant) ; c’est aussi la conclusion de la « Semaine de prière pour l’unité des chrétiens ». Il vaut la peine d’y insister : nous nous sommes si bien habitués, parfois, à la désunion que nous finissons par nous en accommoder assez bien, alors que notre désunion, au détriment de l’unité du corps, est sans doute un des plus gros contre-témoignages, un des plus gros obstacles sur le chemin de la rencontre avec le Seigneur pour ceux et celles qui ne le connaissent pas encore.

Et puis aujourd’hui, 3e dimanche du Temps ordinaire. C’est ce dimanche qui avait été institué par le pape François, le 30 septembre 2019, lorsqu’il avait promulgué un texte dont le titre était déjà tiré de saint Luc : « Aperuit illis » (Il ouvrit leur intelligence au sens de l’Écriture), et le pape souhaitait que l’on fît de ce troisième dimanche du Temps ordinaire, un dimanche particulièrement dédié à la Parole. Nous savons que nos frères Juifs ont dans leur calendrier liturgique des rendez-vous où ils célèbrent le don de la Torah, où ils célèbrent aussi ce qu’ils appellent la « Sim’hat Torah » : « la joie de la Torah », la joie d’avoir été retenus, choisis, comme
interlocuteurs du Seigneur.

Aujourd’hui, je me prenais à penser que c’est maintenant qu’on commence vraiment notre Temps ordinaire. Jusqu’à dimanche dernier, nous étions encore dans ce Temps après Noël, le temps de l’épiphanie, le temps de la manifestation du Seigneur Jésus. Aujourd’hui, nous commençons vraiment la lecture de cet Évangile qui va nous accompagner pendant toute l’année. On le fait en lisant l’entame, l’introduction, les tout premiers versets de l’Évangile de Luc et en regardant aussi, du côté du chapitre 4, le début du ministère de Jésus. Je ne m’y arrêterai pas aujourd’hui, on aura tout le loisir d’en reparler la semaine prochaine, lors de l’homélie de Jésus à la synagogue de Nazareth.

Je voudrais surtout m’arrêter sur le début de l’œuvre de Luc. Peut-être savez-vous — mais peut-être pas — que Luc, en réalité, a écrit une œuvre en deux volumes. Il a écrit d’un côté l’Évangile, centré sur la personne du Seigneur Jésus — comme tous les Évangiles, c’est ce qui les définit. Les Évangiles n’ont pas trente-six sujets, ils en ont un et c’est Jésus, le Seigneur, Fils de Dieu, Christ, Messie —, et ensuite il a écrit un deuxième tome de son œuvre qui est « les Actes des Apôtres », en quelque sorte l’Évangile de l’Esprit ou, pour le dire autrement, on pourrait dire « l’Odyssée de la Parole », et vous avez déjà entendu que ce mot apparaît d’entrée de jeu, dès les tout premiers versets de Luc.

Alors que fait exactement Luc ? On note que, quand il commence son écrit, il prend bien soin de dire qu’il a été sérieux, il a été méticuleux, il est allé à la pêche aux informations et vous avez remarqué que, parmi ses références, il y a ceux qui, dit-il : « furent dès le commencement témoins oculaires et serviteurs de la Parole. » « Autoptes » (en grec). Ils ont vu, de leurs yeux vu ; ils ont entendu, de leurs oreilles entendu. Et donc, Luc, dans l’un comme dans l’autre tome de son œuvre, va nous renseigner sur la personne du Seigneur Jésus, sur sa vie, son parcours. Sa Parole aussi.

Mais ce disant, il ne faudrait pas se laisser aller à penser que Luc fait simplement œuvre de chroniqueur ou d’historien. Il a un propos qui est beaucoup plus précis, et que ce soit dans l’Évangile strictement dit, ou que ce soit même dans les Actes, Luc écrit un Évangile. C’est-à-dire qu’il va collationner un certain nombre d’informations, le mieux vérifiées possible (on ne peut pas toujours tout vérifier au centimètre près), mais son propos, pour autant, ça ne va pas être de faire œuvre de documentaliste. Ce qu’il veut, comme tous les évangélistes, c’est nous mettre en présence du Seigneur Jésus, c’est nous faire cheminer avec Celui qui est « le Verbe fait chair », Celui qui nous parle du Dieu invisible dans tous les aspects de son existence, lorsqu’il prêche explicitement mais aussi et très simplement quand il vit.

Et pour vous aider à sentir ce que j’essaie de vous exprimer, lorsque nous lisons l’Écriture, à la fin de chaque lecture de l’eucharistie on dit : « Parole du Seigneur » et nous répondons : « Nous rendons grâce à Dieu !». À la fin de l’Évangile, quand on a fini la lecture, on dit : « Acclamons la Parole de Dieu ! » et la réponse ne se perd pas dans le vague, elle est adressée à quelqu’un : « Louange à toi, Seigneur Jésus ! », « Laus tibi Christe : louange à toi, Seigneur Jésus ! » Une mise en présence.

Les évangélistes entendent instaurer ce compagnonnage avec le Seigneur. Il ne s’agit pas de nous bombarder d’idées, de concepts, non ! il s’agit d’être avec, de cheminer avec. À l’autre bout de l’Évangile selon saint Luc, vous avez ce passage si emblématique, le passage de Luc 24 : « Les disciples d’Emmaüs ». Cheminer avec le Seigneur et, à son écoute, essayer de comprendre, d’entrer dans le Mystère de l’Écriture, d’entrer dans le Mystère de cette chose en réalité passablement étrange… Là aussi on est très/trop habitués à dire que « Dieu parle ». « Dieu parle », qu’est-ce que ça veut dire ? La question vaut d’être posée et la réponse appartient à
chacun, au sein de la communion de l’Église. Ajoutons en outre que la Parole du Seigneur, nous l’entendons dans l’Écriture, nous l’entendons aussi dans le livre de notre vie, nous l’entendons aussi dans la parole des autres (je repense au mot de Mgr Pierre , évêque assassiné d’Oran : « J’ai besoin de la vérité des autres »).Tout nous est bon pour cheminer avec le Seigneur.

Il y a une figure très intéressante à prendre comme exemple. C’est justement le saint Paul que l’on a lu en deuxième lecture. Paul, dans un premier temps, c’est un homme de la Torah mais il est complètement réfractaire à Jésus et à tout ce qui s’y rapporte. On connaît bien sa vie, dans les Actes, Luc la raconte. Paul, au début Saul de Tarse, n’a qu’un souci : détruire autant qu’il le peut l’Église, supprimer tous ces gens, et à un moment donné, à un moment donné, c’est pas une idée, qui va le percuter, non ! c’est une rencontre. Le fameux épisode de Damas (vous pourrez vous arrêter pour regarder les tableaux de Dhewadi Hadjab en sortant tout à l’heure, si vous ne les avez pas déjà vus), un moment où le monde de Paul s’écroule parce que, après l’avoir complètement refusé, il est complètement saisi par la rencontre, et la rencontre aimante, d’un Christ qui s’identifie complètement à ceux et celles qui confessent son nom. Le Christ ne dit pas à Paul : « Pourquoi est-ce que tu persécutes ces gens ? » Il lui dit : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? »

Et après, c’est vrai, Paul va être un des tout premiers qui va mettre la foi chrétienne en mots. Mais ce qui va compter de manière primordiale pour lui, c’est d’être avec le Seigneur, de vivre sa vie dans le compagnonnage de ce Christ qui, comme il dit, « l’a aimé et s’est livré pour lui. », l’a aimé et l’a aimé jusqu’à mourir sur une croix, et s’est levé aussi dans la puissance de l’amour en ressuscitant.

Tout ceci pour nous inviter à prendre le départ de cette lecture de l’Évangile de Luc ou de l’œuvre de Luc, peut-être tout au long de cette année. Le suivre de dimanche en dimanche, se mettre le plus simplement possible à l’écoute de cette Parole qui, il faut le redire, est faite pour être entendue. C’est très important de souligner cela. Ce n’est pas quelque chose qui est couché sur le papier, non ! c’est bien une voix qui nous parle. Et lorsque nous pratiquons la lectio divina, la lecture de la Parole, en général nous le faisons en prononçant les mots. Un jeu de mots écrit, ça tombe à plat ! Si vous voulez faire un bon jeu de mots, c’est oral, c’est à l’oral que ça aura un effet pour intriguer ou pour amuser les gens. Ici, à Saint-Eustache, on n’est pas en reste sur l’étude, l’écoute de l’Écriture. Vous avez un très bel édito qui a été rédigé par Jean-Pierre Rosa et Anne Roul qui animent des groupes qui sont autour de l’écoute de la Parole, la lecture de l’Écriture, mais tous les groupes, au catéchisme, les enfants passent leur temps à arpenter le Nouveau Testament, les catéchumènes aussi, passent beaucoup de temps à scruter les textes, à les interroger, à se laisser interroger par eux ; le Groupes des Jeunes Adultes, même chose, ils sont très très friands de se laisser interroger, se laisser éclairer par cette Parole toujours un peu énigmatique, qu’on ne comprend jamais complètement.

Je vous cite une petite phrase que j’ai trouvée dans l’édito de Jean-Pierre et de Anne, c’est une citation du Père Henri de Lubac. Je cite la phrase en entier : « Nous découvrons que les Évangiles peuvent illuminer nos vies, comme le dit magnifiquement le Père Henri de Lubac, dans Exégèse médiévale : les quatre sens de Écriture » (un livre qui est absolument magnifique). Citation, du père de Lubac, du cardinal de Lubac : “Le chrétien qui médite l’Écriture en jouit comme d’une musique et ce concert harmonieux des Testaments, plus que la musique des sphères…, finit par l’établir en état de paix contemplative comme dans le sommeil de l’extase, les siècles ont beau passer, l’émerveillement est toujours neuf.’’ »

Alors en conclusion, la seule invitation qui s’impose, c’est sans doute celle qu’avait reçue notre Père saint Augustin. Lui aussi, pendant très longtemps, très très très rétif à la Parole de Dieu, et puis un jour, à la faveur d’une petite station dans un jardin, il a entendu une petite voix qui lui disait : « Tolle lege ! Tolle lege ! », « Prends et lis ! Prends et lis ! ». Et il s’agissait bien de prendre le livre de la Parole, l’Évangile. En l’occurrence il était tombé sur l’épître aux Romains (le chapitre 13). « Prends et lis ! » et saint Augustin s’est exécuté et à partir de ce moment-là, l’Évangile et même l’Écriture dans son entier est devenu son trésor.

Alors frères et sœurs, la Bible ou l’Évangile, livre fermé, c’est un livre fermé ; tandis que si nous entrons en dialogue avec la grande Histoire Sainte ou si nous entrons en dialogue avec la musique, avec la voix de l’Évangile, alors, c’est une parole vivante que l’on peut investir, que l’on peut comprendre de mieux en mieux, qui peut éclairer nos vies, qui peut susciter même notre propre parole : parole de questionnement, parole d’émerveillement, parole de bien. En un mot parole-bénédiction.

AMEN