Célébration du 2e scrutin pour les catéchumènes de Saint-Eustache
1 S 16, 1b-7.10-13a / Ps 22(23) / Ép 5,8-14 / Jean 9,1-41
Le mieux ce serait sans doute que chacun de nous prenne le temps de se promener dans ce magnifique texte du chapitre 9 de l’Évangile de Jean. Une de ces rencontres qui jalonne à la fois le chemin des catéchumènes qui s’approchent invinciblement de Pâques et qui jalonne aussi notre chemin, nous qui les accompagnons, mais qui faisons aussi ce propre parcours pour nous-mêmes.
Mais enfin, il faut bien tout de même donner quelque écho à ces paroles que toutes et tous nous avons entendues. Je commencerai par dire un mot de la première lecture. Si quelquefois vous vous êtes demandé pourquoi on parle de « scrutin » à propos des catéchumènes, vous avez précisément là, le passage biblique auquel les scrutins font référence. Lorsque l’on envoie Samuel chercher David, il a ce conseil que lui donne le Seigneur : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille car je l’ai écarté. » Et surtout ceci : « Dieu ne regarde pas comme les hommes. Les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur. »
Et lorsque nous nous sommes mis en route, le Mercredi des cendres, c’est bien sur ce chemin d’authenticité que nous étions appelés à nous mettre. Non pas jouer l’apparence, le show off, les manifestations très ostentatoires de notre piété, de notre générosité, que sais-je… Nous étions plutôt invités à la sincérité, dans le secret, simplement devant le Seigneur et que lui seul connaisse le bien que nous faisons. Il est si difficile de se gagner au bien pour lui-même, de se gagner au bien simplement pour obéir au Seigneur. Et pourtant, c’est tout notre travail, un véritable travail, notre ascèse, notre exercice spirituel pendant le carême.
Ainsi donc : deuxième rencontre de Jésus. La semaine dernière, la Samaritaine, que Jésus rencontre au moment où elle vient faire la corvée d’eau, et aujourd’hui, en sortant du Temple — en sortant du Temple, Jésus voit son regard qui tombe sur un aveugle de naissance. À défaut de tout relever dans ce texte, on peut déjà commencer par noter l’entrée en matière : les disciples interrogent Jésus : « Rabbi qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Quelle étrange réaction de ne pas envisager simplement le malheur de celui qui est là, son infortune, mais d’avoir l’imprudence, pour ne pas dire l’impudence, de rechercher une cause qui
expliquerait en quelque sorte, justifierait son état et sa situation.
Jésus, vous l’avez noté — et il faut faire attention de bien accueillir cette réaction — Jésus écarte purement et simplement, assez sèchement, cette remarque des disciples : « Ni lui ni ses parents n’ont péché. » Ce n’est pas du tout la question ! La question n’est pas là, elle ne se pose à aucun titre. Il y avait simplement par contre là, et cela ils ne l’ont pas vu, une occasion de faire le bien, une occasion de poser un signe. Il est là pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Plutôt que de faire une archéologie du péché dans la vie de cet homme, il vaut mieux l’envisager tel qu’il est. Et la bonne question serait : « Qu’est-ce que je peux faire pour lui ? » Et c’est exactement ce que Jésus va faire.
Vous avez noté le geste de Jésus : avec sa salive il fait une pâte, une boue, qu’il applique sur les yeux de l’aveugle. Et ensuite, il a juste cette consigne : « Va te laver à la piscine de Siloé, ce nom se traduit “ envoyé ’’ ». Et ensuite, tout se joue en quelques mots : « L’aveugle y alla donc et il se lava, quand il revint, il voyait. » Ça y est, c’est fait ! Après, tout le reste de l’évangile, au fond, nous dit que ce brave aveugle a toutes les bonnes raisons de se désoler d’avoir été guéri par Jésus parce que, suite à sa guérison, c’est tout une série d’avanies, de mises en cause, presque de mise au ban, de sa communauté qui lui échoit.
Alors il faut toujours se redire ceci qui est très important : Jean aime à nous montrer des signes. Je préfère le mot de « signe », « signe de puissance (dynamis ) », au mot qu’on utilise souvent de « miracle » qui connote davantage le côté prodigieux, presque magique de certains actes. Non ! Jésus pose des signes pour qu’on les lise, pour qu’on les déchiffre, et d’abord pour qu’on les accueille.
Et ici, manifestement, tous ceux qui sont autour de Jésus ne vont voir que le signe, à aucun moment ils ne vont le déchiffrer. Ils vont tourner autour du signe. La question qu’ils vont se poser c’est : « Comment se fait-il que l’aveugle voie ? » Sauf que là n’est pas le problème ! La question, c’est pas que l’aveugle voie, ce n’est pas que l’aveugle soit redevenu ou devenu voyant ! La vraie question, la vraie qu’il faut vraiment noter, c’est que cet aveugle, oui, il est devenu voyant mais surtout, il est devenu clairvoyant. Ses yeux de chair se sont rouverts, ça c’est vrai ! ou se sont ouverts, ça c’est vrai ! mais surtout, les yeux du cœur se sont ouverts aussi. Et quand il
voit cet homme Jésus — c’est ainsi qu’on nous le présente — cet homme Jésus, eh bien, quand il le voit, il n’a pas plus de clés que qui ce soit mais il confesse, il confesse que ce Jésus est bel et bien le Christ. Certes ce ne sont pas ses yeux de chair qui le lui disent, ce sont les yeux de sa foi naissante, ce sont les yeux de son aventure commençant à la suite de Jésus.
L’important dans l’histoire de cet aveugle, c’est sa rencontre avec Jésus. Le geste de guérison dont il est bénéficiaire, mais surtout cette rencontre qui le met en présence du Seigneur — qui le met en présence du Seigneur : « Crois-tu au Fils de l’homme ? » — « Qui est-il pour que je croie en lui ? » — « Tu le vois, c’est lui qui te parle. » Un homme, Jésus, qui fait le bien, et dans ce geste de bien, il dit ce qu’il est profondément : Celui qui vient au nom du Seigneur pour notre salut, pour notre bien et pour notre vie.
En terminant cette page d’évangile, vous avez remarqué qu’il y a encore quelque chose qui ressemble quand même à un « coup de patte » de Jésus aux pharisiens. Jésus dit : « Je suis venu en ce monde pour rendre un jugement : que ceux qui ne voient pas puissent voir, et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Les pharisiens sont pas idiots, ils ont entendu et ils pensent bien que, ça, c’est sans doute pour eux. Alors ils se risquent à poser la question pour en avoir le cœur net : « Serions-nous aveugles nous aussi ? » Ils ont bien fait de poser la question parce que Jésus se fait un plaisir de leur répondre : « Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : “ Nous voyons !’’, votre péché demeure. »
Et il y a là pour nous un avis qui est très très précieux. Lorsque nous avons une connaissance trop sûre d’elle-même, peut-être trop saturée de Dieu et des choses de Dieu, nous nous mettons dans un très mauvais cap, car nous n’avons plus besoin de la lumière qui vient d’en haut, éventuellement de cette lumière qui vient d’en haut, mais diffractée, sur le visage de nos frères et sœurs et de nos semblables.
Alors, en célébrant cette eucharistie, demandons au Seigneur la grâce d’accueillir non pas seulement la lumière qu’il nous donne, mais la lumière qu’il est et veut être pour nous. Et à l’instar de ce que saint Paul disait aux Éphésiens, demandons-lui aussi la grâce, à notre tour, d’être lumière sous les espèces d’un témoignage humble mais persévérant, au service de la justice de l’amour et de la paix. Ne prétendons pas savoir, tout savoir, voir, tout voir… bien plutôt mendions de devenir clairvoyants à la lumière de l’Esprit de Dieu.
AMEN