Is 6, 1-2a.3-8 / Ps 137 (138) / 1 Co 15, 1-11 / Lc 5, 1-11
Frères et sœurs, il y a quinze jours nous avons entendu le début du chapitre 4e de l’Évangile selon saint Luc, ce moment où Jésus vient chez lui, à Nazareth et, nous dit-on, « Comme il en a l’habitude, le jour du sabbat, il va à la synagogue, il fait la lecture et il trouve ce fameux passage d’Isaïe où il est dit “ l’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a consacré par l’onction…”». Et Jésus d’énoncer ce que peut faire celui qui porte l’onction : « Libérer les captifs, annoncer une année de grâce… ». Et Jésus, ayant dit tout cela dit : « Cette parole, c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit. »
Et la semaine dernière, comme on a célébré la Présentation du Seigneur, on a entendu les textes de la Présentation, mais on n’a pas entendu la suite du chapitre 4. Il me semble pourtant qu’il faut s’y arrêter un peu. Donc, je fais un petit “ flashback ” pour commencer, en revenant sur ce moment particulier de la prédication de Jésus à la synagogue de Nazareth. Pourquoi ? parce que dans ce petit passage, qui est relativement court, c’est comme si Luc nous donnait de percevoir ce qu’il va en être de toute la dynamique de l’Évangile. Jésus lit la Parole, Jésus indique que la Parole, prise du prophète Isaïe, elle est désormais, en lui, accomplie. Les gens l’écoutent. Et puis ensuite, il continue de parler et, pendant un certain temps, les gens sont plutôt favorablement impressionnés, ils accueillent cette parole de grâce qui sort de sa bouche.
Et à un moment donné Jésus les provoque. Subitement, il leur rappelle des heures où ils n’ont pas été tout à fait au rendez-vous avec le Seigneur, des moments où, peut-être, ils ont manqué de foi ; et encore il leur rappelle qu’aucun prophète ne trouve un accueil favorable dans son pays. Et il cite des exemples : « Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël ; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère. » Même chose au temps d’Élisée : « Il y avait beaucoup de lépreux en Israël ; et pourtant aucun d’eux n’a été guéri, mais bien Naaman le Syrien. » Encore un étranger, encore quelqu’un « du dehors ».
À ce moment-là, évidemment, l’auditoire change de dispositions. Il était plutôt acquis à Jésus, et alors, il va devenir hostile. Tant et si bien que — vous vous souvenez de l’épisode — ils vont sortir Jésus de la synagogue et ils vont le pousser jusqu’à l’équivalent d’une Roche Tarpéienne pour le précipiter en bas. Mais, nous dit saint Luc : « Jésus, passant au milieu d’eux, allait son chemin.» Eh bien voyez, dans ce petit segment, nous avons comme toute la dynamique de l’Évangile : Jésus va avoir de temps en temps une parole qui va rejoindre les gens, à laquelle ils vont se livrer, et à d’autres moments, il va avoir une parole plus dure, plus exigeante, mettant en cause la disponibilité à la foi, la disponibilité à accueillir la parole prophétique, et à ce moment-là, les gens se braqueront, et finalement, voudront lui mettre la main dessus et peut-être le supprimer.
Tout au long de l’Évangile, c’est cette dynamique-là, du chaud et du froid, qui va nous être montrée. Singulièrement, à partir du chapitre 9 dans l’Évangile de Luc, lorsqu’on nous dira au verset 51 que, à partir de tel moment, Jésus « prit résolument le chemin de Jérusalem ». Et lorsqu’il prend ce chemin, il sait vers où il va, il sait qu’il va monter vers un crescendo de confrontation, et il comprend déjà sans doute, il le sait, qu’il n’aura pas nécessairement le dernier mot. Mais Jésus se présente d’emblée, dans une synagogue, porteur d’une parole.
Alors, si l’on en vient à aujourd’hui, à la continuité de cet Évangile de Luc, qui nous sert un peu de guide pendant toute l’année, nous voyons Jésus continuer le début de sa prédication. Et aujourd’hui, il est sur les bord du lac de Génésareth. Et là, il va parler à beaucoup de monde. Il y a des barques qui sont au bord du rivage et il va prier Simon de lui en prêter une. Il va s’asseoir dans la barque et — nous dit-on — « de la barque il enseignait les foules ».
Premier élément de la prédication de Jésus : la parole. Deuxième élément de la prédication de Jésus : « quand il eut fini de parler, il dit à Simon : “Avance au large et jetez vos filets pour la pêche.’’ » Simon, dont c’est le métier, lui dit : « On a passé toute la nuit sans rien prendre mais puisque tu le dis, je vais jeter les filets. » Et là, surabondance.
La parole et le signe — la parole et le signe. L’enseignement et ce qui se donne à voir, ce qui est vraiment concret. Et vous avez noté l’effet paradoxal du signe ? On aurait pu se dire qu’il y avait matière à se réjouir d’avoir attrapé tellement de poissons après s’être épuisé toute une nuit à n’en attraper aucun. La réaction de Pierre — la réaction de Pierre — elle m’intéresse et elle m’interpelle toujours beaucoup : « À cette vue, Simon-Pierre tomba aux genoux de Jésus, en disant : “ Éloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur.’’ » On peut se dire que là, Pierre a perçu le signe, il a compris qu’il n’était pas en présence de n’importe qui. C’est ce qui justifie qu’à la fin, on nous dit qu’ils vont tout planter là pour se mettre à la suite de Jésus qui, probablement, leur aura fait forte impression.
Et lorsqu’ils vont se mettre à la suite de Jésus, la parole de Jésus, ce sera pour leur dire : « Rassurez-vous, vous pouvez me suivre sans crainte ! » Que ce soit Simon, que ce soit Jacques et Jean, fils de Zébédée, les associés de Simon.
La réaction de Pierre. C’est assez curieux, c’est tout au long de l’Évangile et dans tous les Évangiles et notamment saint Jean aussi : le Seigneur cherche à s’approcher et Pierre, toujours, cherche à esquiver. Ici : « Éloigne-toi de moi ! » Au lavement des pieds : « Toi, me laver les pieds, jamais ! ». Et finalement, il se laisse faire.
Dans la première lecture que nous avons entendue, nous avons un très très grand prophète, Isaïe qui, lui aussi, est invité à porter la parole du Seigneur et qui s’estime indigne. Il s’estime être : « un homme aux lèvres impures, habitant au milieu d’un peuple aux lèvres impures. » et pourtant, il a vu, dit-il : « le Roi, le Seigneur de l’univers ! » Alors, en son fors intérieur, le prophète — connaissant toutes ses limites, toutes ses indignités, les disproportions qui existent entre la toute sainteté de Dieu et son péché —, le prophète se met comme en réserve. Et il faut que ce soit le Seigneur qui le remette en scelle.
Pareil pour saint Paul. Saint Paul qui s’estime indigne de porter la parole, la prédication du Seigneur Jésus, ou pour le dire autrement qui s’estime : « indigne de porter l’Évangile » c’est-à-dire Jésus lui-même, à ses frères et sœurs. Vous me direz, il a de très bonnes raisons, et il le dit. Il est l’avorton, il est un meurtrier, il a cherché à supprimer l’Église de Dieu. Néanmoins, malgré cela, le Seigneur veut en passer par son ministère.
Et je voudrais attirer votre attention sur une expression qui est dans ce passage que nous avons entendu. « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. » — « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu. » Nous sommes ici au chapitre 15 de la première aux Corinthiens. Et quand saint Paul dit cela, il dit, il rappelle le Mystère pascal du Seigneur « mort et ressuscité à Jérusalem ». Dans la première épître, la même, au chapitre 11, il a une formule comparable, il dit: « Je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu : la nuit où il fut livré, le Seigneur prit du pain,… le Seigneur prit du vin, et il le donna… »
Ce que les Apôtres vont être appelés à porter, c’est l’Évangile. Et comme je le disais, l’Évangile, c’est équivalemment — équivalemment — la personne du Seigneur Jésus. Et à la suite des Apôtres, qui a à faire ce travail ? eh bien c’est nous tous et nous toutes. Pas simplement les Apôtres, pas simplement les pontifes, pas simplement les prêtres ! Nous tous, nous toutes, au titre du baptême que nous avons reçu, qui nous a fait plonger dans le Mystère du Christ, qui nous a fait goûter « l’amour de Dieu révélé dans le Christ Jésus » ( c’est une citation de saint Paul que je ne me lasse pas de faire). Et l’eucharistie, lorsque nous la célébrons, elle ne nous apporte pas quelque chose mais bien quelqu’un, une mise en présence, une mise en communion, elle nous donne de demeurer et de progresser en amitié avec le Seigneur.
Alors évidemment, il y a toutes les réticences que nous pouvons éprouver, il y a toutes les limites que nous nous connaissons trop bien : on n’en sait pas assez, on n’est pas assez qualifiés, on n’est sans doute très indignes, on n’est pas à la hauteur,… peu importe ! Peu, importe ! le Seigneur n’attend pas de nous que nous soyons des instruments complètement parfaits, ou des instruments qui attendent d’être parfaits pour passer à l’acte. Non ! l’amour de Dieu, révélé dans le Christ Jésus, n’attend pas pour être partagé, non pas comme une doctrine, non pas pas comme un discours qui voudrait enrôler les gens mais comme la proposition d’un amour, et même la proposition du plus grand amour.
Nous ne sommes pas sur les bords du lac de Génésareth, nous sommes autour de la table du Seigneur, la table de sa Parole, l’ambon, la table de son corps et de son sang, l’autel, où nous allons maintenant continuer de célébrer l’eucharistie.
Demandons au Seigneur de nous laisser, comme Isaïe, comme saint Paul, comme saint Pierre, saint Jacques, saint Jean, la grâce de nous laisser appeler par lui ; ne le fuyons pas, ne fuyons pas son amour et demandons-lui la grâce aussi de nous laisser envoyer par lui. Après avoir été disciples à l’école du Seigneur, devenir apôtres, ambassadeurs de l’amour que Dieu porte à tout un chacun, toute une chacune, à tous et à toutes.
AMEN