Dt 4, 1.5-9 / Ps 147 / Mt 5, 17-19
Frères et sœurs, nous poursuivons notre marche de Carême. Aujourd’hui, le 18 mars nous faisons mémoire, je le signale en passant, d’une grande figure de l’Église : saint Cyrille de Jérusalem, qui est mort à Jérusalem à la fin du 4e siècle. Il a défendu la foi dans la divinité du Seigneur mais surtout il a laissé des catéchèses baptismales, des catéchèses mystagogiques, des textes où il parle du Mystère de Dieu, du Christ, de l’Église, et grâce à lui, on sait assez bien comment on préparait les adultes au baptême dans la seconde moitié du IVe siècle. C’est une occasion pour nous de penser encore à tous ceux et celles qui étaient sur beau chemin de préparation, et qui doivent maintenant revisiter un peu leur dynamique. Avec eux cependant, nous restons attentifs à tout ce qui nous est proposé ces jours-ci dans notre démarche de Carême.
Le premier texte des lectures de ce jour nous renvoie au Deutéronome, au chapitre 4e. Et le seul point sur lequel j’attire votre attention en vous invitant à aller le relire, c’est cet appel à la mémoire, cet appel à se souvenir, l’impératif de garder présent à la mémoire du cœur ce que le Seigneur fait dans la vie de son peuple, ce que le Seigneur fait dans la vie de chacun et de chacune d’entre nous, ce que le Seigneur aussi confie à l’humanité, lorsqu’il révèle à Moïse, lorsqu’il révèle à son Peuple, son Nom d’abord, et ensuite sa Loi. C’est à dire lorsqu’Il commence Lui-même par s’engager, se livrer à la relation, en donnant, en confiant, son Nom et que, dans le même mouvement, il offre comme un balisage pour un chemin de retour, un chemin de réponse à son amour, lorsqu’Il donne les dix Paroles. Lesquelles dix paroles par la suite, seront appelées à se déployer, pour être traduites concrètement dans le quotidien de chacun.
Et je retiens principalement cette mise en garde : « N’oublie pas ! Souviens-toi ! » Le peuple du Seigneur est appelé à se souvenir, à garder en mémoire la Parole que le Seigneur lui a donnée. Vous l’avez entendu d’ailleurs au début du Carême, nous avons eu l’occasion de chanter, de prier le psaume 1er : « Heureux est l’homme, celui-là qui ne va pas au conseil des méchants, mais se plaît dans la Loi du Seigneur, et murmure sa Loi, jour et nuit. »
« Demeurer dans la Loi du Seigneur. » Peut-être que cette notion de Loi ne nous parle pas directement, ou peut-être qu’elle nous parle, mais un peu négativement. A la vérité, ce dont il faut se souvenir, c’est que la Loi dont il est question ici, c’est la « Torah ». Littéralement ça se traduit par un mot qui est assez modeste : « instruction »… comme une indication que le Seigneur donne à son peuple. Et pourtant ces dix paroles, qui sont au cœur de la Torah, elles sont précieuses pour chacun, et ce dont elles font l’objet d’ailleurs, ce n’est pas d’une mise en application tout à fait directe, comme s’il ne fallait pas y penser, mais au contraire, elles font d’abord l’objet d’une curiosité. Elles sont d’abord, destinées à susciter en nous des interrogations : Qu’est-ce que le Seigneur me dit, lorsqu’il m’adresse la Parole ? Qu’est-ce qu’il me demande lorsqu’il me propose un commandement ? Qu’est-ce qu’il veut m’empêcher de faire ? Vers quelles impasses veut-il me garder d’aller lorsqu’il m’impose des commandements négatifs, appelons ça des « interdictions » ?
Dans l’Évangile on entend Jésus revenir sur la Torah, revenir sur la Loi, et dire très clairement à ses auditeurs et à ses auditrices, qu’il n’est pas venu « abolir », mais « accomplir » et ce mot de « accomplir » (pleroun), il a deux sens. Le premier sens d’abord, dans le bouche du Seigneur, c’est bien sûr qu’il prend pour Lui-même comme boussole, la Loi du Seigneur, et vit les commandements du Seigneur jusqu’au bout, jusqu’à leur plein et entier accomplissement.
Le Seigneur accomplissant la Loi, va se révéler Lui, par excellence, fils du commandement, non pas parce qu’il va devenir – comme d’autres pouvaient l’être – un observant pointilleux d’une religion très règlementée, mais parce qu’il va justement scruter les commandements du Seigneur, qu’il va remonter jusqu’à ce qui fait la vérité et la force ce tous ces commandements, qui se résument comme chacun sait, et le Seigneur le dit très clairement dans l’Évangile, du reste en citant aussi l’Ancien Testament : « Tout cela se résume à aimer Dieu, aimer son prochain comme soi-même. » Aussi bien le Seigneur d’abord « accomplit » la Loi pour Lui-même, il en est le digne fils, il est le fils de la Loi, le fils du Commandement et par là, il est le Fils de Dieu aussi, comme nous pouvons l’être nous à sa suite et à son exemple. Et lorsque le Seigneur vient accomplir la Loi bien sûr, il vient aussi nous donner ce que la Loi, puis les prophètes nous ont promis : ce salut que nous attendons, et qui entend répondre aux maux du monde, notamment à ce grand mal qu’est la mort.
Que pouvons-nous retirer de ce que le Seigneur nous dit ? Peut-être simplement ceci : certainement que vous n’avons pas une religion qui est faite tout entière de règlements – au pluriel -, une mise en coupe réglée, serrée, de nos existences. Beaucoup de gens quittent la religion parce qu’ils ne voient que cela : des règlements à n’en plus finir, des interdits, des obligations, des choses qui, prises dans leur aspect extérieur, ne conduisent pas très très loin, dont on voit très vite les contraintes sans nécessairement voir le fruit. Des choses qui n’ouvrent pas nécessairement un horizon…
Mais pour ceux et celles qui restent, pour ceux et celles qui entendent vivre sous la Loi du Seigneur, pour ceux et celles qui entendent faire du psaume 1er leur béatitude à eux, la religion c’est tout autre chose ! D’abord c’est une grande question, et un questionnement continu : Qui est le Seigneur ? Qui est ce Seigneur qui me parle ? Et lorsqu’il me parle – ce dont je peux toujours m’étonner, car cela ne devrait jamais aller de soi – qu’est-ce qu’Il me dit ? Et lorsqu’Il me parle, qu’est-ce qu’Il me dit, et qu’est-ce qu’il me veut ? Et la réponse viendra plus tard : « Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. », ou saint Paul dira : « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. »
La religion comme source de vie. Et effectivement le Seigneur a raison sans doute de dire à quelques-uns de ceux et celles auxquels il s’adressait, qu’ils ne sont pas sur la même longueur d’onde lorsqu’ils font de la religion une mise en coupe réglée par des règlements de la vie de tout un chacun. Il faut que la religion respire, il faut remonter à son principe, il faut remonter à ce dont elle est source, et aussi, à ce à quoi elle vise : que la vie de chacun soit pleinement épanouie dans une relation authentique au Dieu d’amour qui nous invite à pratiquer la justice; que la vie de chacun soit aussi une vie de relation accomplie dans les liens que nous pouvons tisser les uns avec les autres, non seulement dans la communauté des croyants, mais très au-delà, même avec tous ceux qui ne partageant pas notre foi, partagent tout de même avec nous, le mystère de l’humanité que tous et toutes nous avons à vivre.
Restons sur notre chemin de Carême, demeurons dans la prière, demeurons attentifs à lire l’Écriture, demeurons attentifs à interroger l’Écriture, avant de savoir quoi faire, il faut passer un certain temps à interroger le texte. Le Seigneur ne nous conduit pas sur des chemins simplistes, il veut que nous découvrions, que nous entrions dans la profondeur. Il nous invite constamment à un « discernement » (discipline chère au Pape François).
Les temps que nous traversons sont évidemment difficiles et sans doute vont-ils l’être de plus en plus, au fur et à mesure que le confinement va distendre le temps et nous faire pâtir davantage de sa durée. Mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’il y a là, un bénéfice : il y a beaucoup de temps libre qui s’est dégagé, et c’est une vraie opportunité pour nous, peut-être, pour faire retour sur notre intériorité, voir les ambitions que nous pouvons avoir pour notre vie spirituelle, c’est à dire en fait, pour notre vie tout court : à quelle source voulons-nous l’abreuver, de quelle lumière voulons-nous l’éclairer, vers quelle plénitude voulons-nous marcher. Cette plénitude, nous en avons déjà la clé, mais il nous faut encore l’explorer : c’est cet amour reçu et partagé dont nous vivons, dont nous essayons de vivre comme disciple du Christ.
AMEN