Dimanche 14 juin 2020 – Le Saint-Sacrement du corps et du sang du Christ
Superbes paroles de Jésus prononcées dans cette page de l’évangile de Jean. Elles terminent le discours sur le pain de vie que Jésus prononça dans la synagogue de Caphranaüm, peu après avoir multiplié les pains. Les mots que Jésus emploie, chez Jean, sont un peu différents de ceux que nous avons repris dans le sacrement de l’eucharistie. Il s’y trouve bien le mort « sang », que nous utilisons en reprenant les paroles de Jésus au moment de la consécration : « Prenez et buvez-en tous, car ceci est la coupe de mon sang. »
Mais chez Jean, au lieu d’employer le terme « corps » pour le pain consacré, on trouve le terme « chair » ; il a été moins repris par l’Eglise, sauf dans l’expression « résurrection de la chair » que l’on trouve dans le Symbole des Apôtres ; c’est sans doute parce qu’il évoque trop la matière molle qui couvre nos os, et qu’il peut sembler moins complet que le mot « corps ». En revanche, le très court passage de la 1ère épître aux Corinthiens qui nous a été proposé en seconde lecture met particulièrement bien en valeur la notion de « corps ».
Il fait partie d’un long développement de cette épître qui couvre trois chapitres, et qui part de la question : quand on est devenu chrétien, peut-on consommer des nourritures qui ont été offertes idoles païennes ? Car tout n’était pas brûlé ni mangé par les prêtres des temples païens. Toute personne pouvait en consommer dans des salles de restaurant aménagées dans les dépendances des temples ; on pouvait aussi en acheter au marché ; on risquait donc également d’en consommer lorsqu’on était invité chez des amis.
La réponse que Paul donne à cette question est très complexe et très intéressante. Au moment donné de son argumentation, il lance cet avertissement : « Mes bien-aimés, fuyez le culte des idoles. » Et c’est là qu’intervint le passage que nous avons lu, où Paul n’affirme pas mais questionne : « La coupe de bénédiction que nous bénissons n’est-elle pas… ? Le pain que nous rompons n’est-il pas… ? » En d’autres termes : « Réfléchissez : Vous qui venez à la table du Seigneur – ce qu’est notre messe –, pouvez-vous également prendre part à la table des dieux païens ? à la table des idoles ? » Et pour passer des questions aux réponses : « Les deux tables sont incompatibles. C’est une question de cohérence. »
Et Paul prolonge lui-même par une affirmation : il y a un seul pain, le corps eucharistique du Christ. Ce corps eucharistique est lié à la mort de Jésus, car c’est au moment de verser son sang qu’il a célébré le dernier repas. Et il y a aussi un autre corps qui est en jeu, le corps ecclésial, celui que nous formons. L’expression « corps du Christ » a alors une triple dimension.
Il est d’abord le pain consacré au cours de la messe et donné en nourriture aux fidèles, comme Dieu avait donné la manne aux Hébreux dans le désert, au temps de l’Exode. Le pain sur lequel le président de la célébration prononce les paroles prononcées par Jésus lui même lors du repas du Jeudi Saint : « Prenez, et mangez-en tous : ceci est mon corps livré pour vous. »
Il est aussi le corps du Christ crucifié et versant son sang par amour pour les humains. C’est un geste d’une telle générosité qu’il doit inspirer le plus grand respect : le Fils de Dieu accepta de mourir pour des humains qui furent capables de le tuer. Et nous sommes encore prêts à perpétrer des assassinats du même type.
Il est encore le corps ecclésial que nous formons, et qui devient visible lorsque nous sommes rassemblés, en particulier pour célébrer l’eucharistie : « La multitude que nous sommes est un seul corps », rappelle saint Paul. Et cette unité a ses exigences. Si mon comportement me sépare de mon frère ou le fait tomber, je blesse le corps ecclésial, et je n’ai plus ma place dans une célébration eucharistique. Vouloir l’unité et se comporter en conséquence sont des dispositions nécessaires. Dans l’eucharistie, nous communions au Christ, et nous sommes également en communion entre nous. Cette dimension du corps ecclésial nous a particulièrement manqué pendant les sept semaines de confinement où nous ne pouvions pas nous réunir. Et avouons qu’elle nous manque encore un peu puisque nous devons respecter entre nous des distances que nous aimerions souvent réduire.
Il se passe donc tellement de choses importantes au cours d’une messe que l’Eglise a souhaité, au XIIIe siècle, créer cette fête que l’on célèbre le deuxième dimanche après la Pentecôte et qui a pris en France un nom très particulier : la Fête-Dieu. Cette appellation un peu étrange n’existe pas dans les autres pays.
En cette fête du Saint-Sacrement du Corps et du Sang du Christ, nous sommes particulièrement invités à l’action de grâce : c’est un cadeau extraordinaire que Jésus nous fait de pouvoir le recevoir en nourriture. Et nous sommes également invités à faire corps entre nous. Tout ce qui nous sépare, tout ce qui nous divise, tout ce qui crée des ségrégations n’a pas sa place. Il est normal de débattre ; tout groupe vivant le fait. Mais il n’est pas normal d’être désunis. La volonté d’unité est une des significations du geste de paix que nous faisons – de façon encore bien lointaine aujourd’hui – avant la communion.
Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire à Lyon