C’est avec très une vive émotion que nous avons appris le décès de Maître Jean Guillou samedi dernier. Il était la dernière figure de toute une génération d’organistes qui, par l’excellence et la diversité de leur art, ont su faire rayonner l’école française bien au-delà des frontières.
Ce n’est pas pour autant qu’on pouvait le définir comme héritier d’une école, il était unique, inclassable. Ses interprétations pouvaient être géniales, déroutantes et parfois même dérangeantes. Il faisait fi de toute avancée musicologique, ou des traditions d’interprétations ; il s’appropriait la musique et elle devenait sienne.
A Saint-Eustache, pendant 52 ans, il a donné de nombreux récitals et a fidèlement assuré l’accompagnement des services liturgiques. Par son art et sa présence, il a su faire rayonner cette tribune en lui conférant une dimension internationale. Arrivé en 1963, il hérite d’un instrument à bout de souffle qui se taira définitivement en 1977. Il faut attendre 1989 pour que le nouvel instrument, dont la réalisation est confiée aux frères Van den Heuvel de Dordrecht aux Pays-Bas, soit inauguré. Cette réalisation pilotée par Jean-Louis Coignet, alors expert-organier de la Ville de Paris, est inspirée par les conceptions de Jean Guillou.
En 2014, la Paroisse décide d’organiser un concours pour sa succession, ce qui produit un certain remous dans le monde de l’orgue. Il semblait avoir toujours été là et cela paraissait immuable. Il a incarné pleinement sa fonction, il était l’organiste de Saint-Eustache.
Se présenter à sa suite n’était pas une décision facile à prendre. Quelle légitimité pouvions-nous avoir ? Nous n’étions ni ses disciples, ni ses proches. Aujourd’hui avec du recul, j’ai la profonde conviction que succéder à Jean Guillou, ce n’est pas être dans le mimétisme mais s’imprégner de son intime philosophie : rester un esprit libre ! Assumer l’héritage musical légué par nos ancêtres, mais le faire vivre en artiste contemporain. Notre société nous forme à un respect presque obligé de l’histoire et de ses traditions, la création peut s’en trouver ralentie, écrasée par le poids de notre culture.
Il nous incombe aujourd’hui de perpétuer cet esprit et cette vie qu’il a bâtis pendant toutes ces années à Saint-Eustache. Sa personne restera liée à cet instrument et à cette église. Ce vaisseau a servi sa musique tout autant que son art s’y est développé.
Thomas Ospital, titulaire du grand orgue de Saint-Eustache.