“Il est évident que les nations les plus riches ont accumulé une dette écologique”
Pape Francois, Laudato Si’ §51
Les pays riches qui prélèvent des ressources et rejettent des déchets en excès émettent en particulier des gaz à effet de serre au-delà de leur juste part (Laudate Deum §72), car la capacité d’absorption de l’atmosphère qui appartient également à tout le monde, est limitée. En revanche, les pays pauvres, peu équipés et faiblement émetteurs (l’Afrique sub-saharienne a émis 0,5% des émissions globales depuis 1850), sont les principales victimes du dérèglement climatique et subissent des préjudices croissants.
Les responsabilités sont donc “communes mais différenciées”, comme le reconnaissaient déjà la conférence de Rio en 1992 et les Accords de Paris en 2015. Se constitue ainsi au fil des années une dette écologique que les Cop et le débat public excluent ou feignent d’ignorer alors qu’il est possible de la calculer.
Depuis 2015 le Pape François nous alerte :
Le 30 août 2023, il rappelait le constat établi en 2015 sur l’évidence de la dette écologique des pays riches soulignant toute son actualité, 8 ans après Laudato Si’. Dès 2015 il demande de “solder cette dette en limitant de manière significative la consommation de l’énergie non renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui en ont le plus besoin…” (LS §51)
Dans Laudate Deum (§34 et suivants), il appelle à intensifier la coopération internationale alors que nous avons de plus en plus conscience que notre avenir climatique va se décider aussi en Inde au Nigeria et en Egypte. Il dénonce l’asymétrie et les blocages des relations Nord Sud :
“la dette extérieure des pays pauvres s’est transformée en un instrument de contrôle, mais il n’en est pas de même avec la dette écologique” (LS §51 et 52).
De fait il n’existe aucun dispositif contraignant liant les préjudices subis par les pays du Sud aux responsabilités des pays les plus émetteurs ; en effet les Accords de Paris excluent même toute forme légale de reconnaissance de responsabilité ; ils précisent que l’Accord (au §51) “ne comporte ni ne fournit de base à aucune dette ou compensation”.
Cela explique et justifie que le ressentiment des pays du sud augmente (voir LD §52).
Pourtant les évaluations récentes de la dette écologique ont de quoi donner le vertige :
Les pertes de biodiversité donc la dette écologique étant difficiles à cerner, on s’intéressera ici aux évaluations de la seule dette climatique. Il est possible de la calculer en considérant la quantité de CO2 qu’il est encore possible d’émettre globalement en restant en deçà d’un objectif (par ex. 2°), d’en déduire la quote-part de chaque pays en fonction par exemple de sa population, et en associant aux quantités en excès un prix du CO2 en se référant aux documents du GIEC. Plusieurs modes de calcul existent en liens avec différentes manières de définir la dette.
Le FMI* estimait en 2023 la dette de 131 pays riches pour la période 1959-2018 à “environ 59 000 milliards de dollars” ; selon l’ONG Oxfam, elle représente “13 000 milliards de dollars dus aux pays pauvres” par les pays du G7 ; l’OFCE** l’estime pour l’Europe à “50% du PIB donc à environ 8000 milliards”.
Les chercheurs A. Fanning et J. Hickel*** aboutissent à “192 000 milliards de dollars”.
Ce bref survol montre d’emblée que les fonds décidés par les récentes Cop, “Fonds d’adaptation” (soit 100 milliards par an à partir de 2020, qui sont en fait surtout des prêts) et “Pertes et Dommages” au bénéfice des pays du Sud sont sans commune mesure avec la dette écologique. Selon la climatologue Valérie Masson Delmotte, le fonds “Pertes et Dommages” est “équivalent au salaire des trois joueurs de football les mieux payés”
Ces fonds ont été sous les projecteurs de l’actualité.
À quelles conditions le débat public s’emparera t-il du sujet beaucoup plus sensible de la dette écologique ?
Le groupe Conversion écologique
Laudato Si (LS) en pdf : https://www.vatican.va/content/dam/francesco/pdf/encyclicals/documents/papa-francesco_20150524_enciclica-laudato-si_fr.pdf
Laudato Deum (LD) en pdf : https://www.vatican.va/content/francesco/fr/apost_exhortations/documents/20231004-laudate-deum.pdf
*Fonds Monétaire International, article en ligne publié le 2.09.2023 intitulé “Régler la dette climatique”
**Observatoire français des Conjonctures Economiques “La dette climatique en Europe” Paul Maliet et Xavier Timbeau, 2018
***A. Fanning et J. Hickel “Compensation for atmospheric appropriation” revue Nature Sustainability, 5.06.2023