Le jeudi 10 mai, nous fêterons l’Ascension, jour où Jésus se montra vivant pour la dernière fois à un groupe de disciples qui l’avait suivi pendant ses trois années de vie publique. « Il se sépara d’eux et fut emporté au ciel », selon la formulation utilisée par l’évangile de Luc (24, 51). Les disciples, écrit également saint Luc, « retournèrent à Jérusalem, pleins de joie » (Luc 24, 52). D’une certaine façon, cette joie étonne. Car la séparation d’avec un être cher est plus souvent l’occasion d’une tristesse que d’une joie. À y réfléchir, pourtant, la joie peut être la dominante de cette fête, à condition d’avoir une attitude altruiste et de ne pas vouloir garder Jésus pour soi.
Il y a d’abord la joie de le savoir près du Père. C’est ce que Jésus explique aux Douze dans le discours après la Cène tel qu’il est rapporté par l’évangéliste Jean : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais au Père, car le Père est plus grand que moi » (Jean 14, 27). Dieu a fait aux humains le cadeau de sa présence physique par son incarnation, mais il paya au prix fort ce geste d’amour : une vie ordinaire qui se termina par une mort injuste et atroce, alors qu’il était, comme l’écrit saint Paul, « de condition divine » (Philippiens 2, 6). Saint Athanase, que nous avons fêté le 2 mai et qui fut évêque d’Alexandrie au IVe siècle, exprime cela en des termes forts : « Le Verbe de Dieu, incorporel, incorruptible et immatériel, est arrivé dans notre région, bien qu’il n’en ait pas été loin auparavant. » Le Fils de Dieu, par qui fut créé l’immense univers, a choisi de se rendre physiquement présent et souffrant sur un minuscule satellite du minuscule Soleil, qui est lui-même une petite étoile de la petite Voie lactée. Après cet exil, n’a-t-il pas droit de se reposer dans le Père ? Et ne devrions-nous pas nous en réjouir ?
Il y a ensuite la dimension d’universalité qui résulte de l’absence physique. Certes, pendant sa vie terrestre, quelques-uns de nos frères humains ont pu s’approcher de Jésus, le voir, le toucher, parler avec lui. Mais les autres ? Ceux qui vivaient avant et ceux qui vivent après… Et ceux qui vivaient ailleurs ? Une présence physique, c’est concret, mais c’est aussi limité dans le temps et dans l’espace. Tandis que celui qui ressuscita, et se manifesta une dernière fois à ceux qui l’avaient approché, est aussi celui qui leur dit : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Matthieu 28, 20). Désormais vivant définitivement auprès du Père, Jésus offre son compagnonnage à toute personne humaine, quelle que soit l’époque où elle vit, quelle que soit sa croyance, sa mal-croyance ou même son athéisme. Ne nous devrions nous pas nous en réjouir ?
Que notre joie de fêter l’Ascension soit totale, donc. Paradoxalement c’est la joie d’une certaine forme d’absence. Mais c’est aussi la joie d’une autre forme de présence qui transcende le temps et l’espace et dont tous nos frères humains peuvent être bénéficiaires.
Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire, chapelain à Saint-Bonaventure