C’est sans doute un signe de reconnaissance et de satisfaction de la part des fidèles, mais contrairement à d’autres paroisses parisiennes la fréquentation et l’effectif des messes dominicales ou de semaine à saint-Eustache ont retrouvé après la crise leur chiffre d’avant le Covid, avec la même composition typique des paroisses dites « d’élection », un tiers de résidents du quartier, un tiers du reste de Paris et un tiers venant de banlieue, proche ou « grande ». Et selon la formule de Marcel Pagnol dans son film Marius, j’ajouterais volontiers un « quatrième tiers » composé des « gens de passage », touristes, visiteurs et auditeurs des nombreux concerts qui — et c’est un sujet d’interrogation ou de polémique — sont pour moi tout autant « paroissiens » que les autres car leur accueil est une part importante de la mission de la paroisse, de sa pastorale. Saint-Eustache est une église dont les portes sont toujours ouvertes, même pendant les offices, non par négligence mais par choix, le choix d’une hospitalité s’adressant à tous. « L’hospitalité pure et inconditionnelle, l’hospitalité elle-même s’ouvre, elle est d’avance ouverte à quiconque n’est ni attendu ni invité, à quiconque arrive en visiteur absolument étranger, en arrivant non identifiable et imprévisible, tout autre. Appelons cela hospitalité de visitation et non d’invitation. La visite peut être très dangereuse, il ne faut pas se le dissimuler ; mais une hospitalité sans risque, une hospitalité garantie par une assurance, une hospitalité protégée par un système d’immunité contre le tout autre, est-ce une vraie hospitalité ? » Cette définition est de Jacques Derrida, un philosophe qui a étudié à fond la nature et les enjeux de l’hospitalité, et elle correspond vraiment à notre projet pastoral. Bien sûr la rencontre avec « ceux qui passent » est brève, et il ne peut se passer que peu de choses dans cet accueil, et pourtant c’est une mission, et non une charge, qui est essentielle. « Ce « peu » que fait l’Église signifie quelque chose de beaucoup plus vaste, qu’elle ne fait pas et qu’un autre fait : celui qu’elle appelle le Christ, ou Dieu. Il le fait d’ailleurs par d’autres qu’elle. Elle le signifie, elle y renvoie, elle en rend grâce sans jalousie, sans réclamer constamment des droits d’auteur sur ce qui serait sien et qui lui appartiendrait quand d’autres le font valoir. Les autres ne la copient pas. Ils sont, eux aussi, travaillés par le même dessein de Dieu qui a fait naître Israël et qui a fait naître l’Église. De ce point de vue elle est « signe et instrument». Signe et instrument de quoi ? D’un salut. » Cette fois je cite le théologien Maurice Vidal qui su me convaincre que l’Église est tout entière Église même à la marge, et même au-delà des marges, par l’ouverture à tous, le dialogue avec l’art actuel, la place donnée à la musique, ses interprètes et ses auditeurs, pour peu que l’accueil de l’autre ne soit pas du prosélytisme mais un échange dans lequel chacun reçoit de l’autre tout ce qu’il peut donner. C’est la pastorale du quatrième tiers.
Père Jacques Mérienne, vicaire à Saint-Eustache.