Nous avons tant d’occasions de traverser nos propres tunnels – occupations diverses qui nous submergent, deuils, réforme des retraites, guerre en Ukraine, que sais-je encore – que nous pouvons oublier ou négliger le tunnel du Carême en nous faisant la réflexion que… nous avons bien d’autres chats à fouetter, qui sont en quelque sorte notre manière de vivre le Carême !
D’ailleurs la spiritualisation croissante du catholicisme nous pousse à cet oubli ou à cette négligence. L’Église a en effet abandonné les formes les plus extérieures du Carême – le fameux « maigre » obligatoire – en raison de leur formalisme et de leur possible hypocrisie au profit de simples recommandations et, surtout, d’un moment de retour sur soi-même, de conversion et de réconciliation.
Nous avons donc tendance à emboîter en quelque sorte le pas à l’Église pour nous donner à nous-mêmes des buts personnels et privés, souvent liés à des préoccupations individuelles : lutter contre les effets néfastes d’un trait de caractère (colère, médisance, repli sur soi…) ou d’habitudes alimentaires ou comportementales (tabac, alcool, gourmandise…). Mais comme ces petits gestes du Carême peuvent ne viser que notre seul bien-être et risquent donc d’être eux-mêmes un peu hypocrites, nous les délaissons finalement volontiers. Quant à faire retour sur nous-mêmes, encore faudrait-il que nous en ayons le temps ! Et que les circonstances extérieures ne soient pas aussi oppressantes.
Revenons 20 siècles en arrière. Les temps sont extraordinairement troublés en Palestine, le pays peut s’enflammer pour le premier prétexte venu, la première provocation. Une urgence politique et sociale flotte dans un climat de guerre civile et de résistance. Et pourtant Jésus, au seuil de son engagement public prend son temps pour se préparer à sa mission. Et le voilà qui traverse le tunnel de ces quarante jours d’isolement en repoussant toutes les tentations au nom de Dieu.
En réalité, le temps est notre denrée la plus rare et la plus précieuse. En confier un peu à Dieu est un acte de confiance profondément religieux. Il s’agit seulement de prendre du temps. Chaque jour. Et d’entrer avec lui dans ce tunnel spécifique du Carême.
L’image du tunnel, bien adaptée à notre vécu urbain, rejoint celle du désert. Une traversée obscure, où l’on est isolé de tout et où l’on se concentre sur le chemin – la route à suivre -, et sur l’issue : le bout du tunnel, la lumière, Pâques.
Empruntons donc sans plus tarder, un peu chaque jour, le tunnel du Carême !
Jean-Pierre Rosa, paroissien de l’église Saint-Eustache.