Pour qui se penche sur le sillon tracé par cette société de prêtres séculiers qui donna une grande diversité de figures, la première question porte sur l’Oratoire dont nous parlons. L’Oratorio italien, fondé par Philippe Neri (1515-1575) dans la Rome de la Renaissance, qui inspira Pierre de Bérulle (1575-1629) pour sa conception inédite de la vie communautaire, résolument séculière et sans vœux ? Celui de Bérulle, encouragé par les visiteurs du Cercle Acarie à restaurer « l’état de prêtrise » dans une société malmenée par de profonds changements culturels et religieux ? Celui du XVIII e siècle, divisé par le jansénisme et principalement composé de « confrères », œuvrant souvent dans les collèges, plus intéressés par la recherche scientifique qu’à faire vivre l’intuition bérullienne, vite oubliée ? Celui des prêtres parisiens, l’abbé Pététot, curé de paroisse et le père Alphonse Gratry, aumônier de l’École Normale, qui en 1852, ont restauré l’Oratoire disparu dans la tourmente révolutionnaire avec le projet commun de renouveler l’Église et de la réconcilier avec la société moderne, sans mentionner l’intuition du premier Oratoire ? À chaque époque son Oratoire ?
Derrière cette diversité de figures oratoriennes, émerge pourtant une attitude, éclairée par l’interrogation de Bérulle devant la quête de sens qui anime tout être humain. La ressource qu’il peut constituer aujourd’hui est moins son désir de restaurer « l’état de prêtrise » que, plus profondément, son étonnement devant la manière dont le « Verbe de vie » habite tout être humain, se révélant moins dans le ciel que dans la pâte humaine : en Jésus-Christ, tout être humain est un monde, certes complexe, mais voulu et aimé par Dieu : il est appelé à se découvrir capacité d’accueil de la grâce de Dieu.
De cette attitude contemplative, il résulte une liberté pastorale que les oratoriens nourrissent de leur culture communautaire. Les échanges offrent à chacun l’opportunité de se confronter sur des questions qui nous mobilisent, afin de se positionner comme oratoriens dans une société où l’Évangile est à annoncer. Comme dans tout groupe humain, unité et fragmentation sont en tension permanente, en particulier dans une société davantage connue pour l’indépendance d’esprit de ses membres, que pour un « charisme » commun. À bien des égards, notre unité demeure un mystère. La vie fraternelle est d’abord une question à faire vivre dans le service des appels de l’Esprit qui résonnent dans les questions du temps (sociales, migratoires, environnementales, numériques, etc.). Comme hommes, comme chrétiens et comme prêtres, nous nous sentons appelés à entrer en dialogue avec toute réflexion humaniste, en particulier profane, moins dans le silence des cloîtres que dans les échanges des forums, pour qu’advienne le Vivant.
François Picart, supérieur général de l’Oratoire.