L’obscurité est têtue. Le monde connaît mille et une nuits qui se font quelquefois terriblement opaques. Nuit de l’histoire de chacun, chacune. Nuit de certaines heures de nos vies à l’intime, à l’heure de l’échec, de l’adversité, de la maladie, de la solitude, de la perte du sens… Nuit de nos sociétés dont on ne cesse de répéter, non sans raison, qu’elles sont en crise, traversées de fractures, passementées d’injustice, ébréchées par le doute. Nuit de notre monde qui, peu ou prou, à grande échelle, connaît toujours et comme invinciblement les horreurs de la guerre et de son cortège de fléaux : cœurs meurtris, corps brisés, existences compromises… Toujours cette vaine et cruelle comédie des jeux de pouvoir qui peut gâcher les plus belles réalisations. À titre d’illustration : tout le monde s’accorde à reconnaître que le Mondial 2022 aura été une compétition de haute tenue sportive, faisant rêver (c’est l’expression presque consacrée) des millions de gens sur la planète. Et tant mieux !
Mais peut-on vraiment, comme si de rien n’était, faire fi d’une collection de bémols à la clef d’une partition de joie privée de sa plénitude ? L’ineptie écologique, la gabegie des droits humains, le suaire de silence pour ceux qui ont laissé leur vie dans les temples construits par Mammon. Inutile de noircir davantage le trait en allongeant une liste qu’on ne connaît que trop… même s’il est de bon ton de regarder ailleurs, les yeux perdus dans les lointains d’un refus de faire droit au réel tel qu’il est. On aurait préféré une joie sans mélange.
La nuit est têtue mais la lumière l’est aussi ! Clarté de la nuit de Bethléem. Nuit pas forcément hospitalière en tous points mais nuit où entre en humanité, par la petite porte et le bas de l’échelle, un enfant du nom de Yoshua (c’est-à-dire Dieu sauve). Il entre en humanité pour être solidaire avec l’humanité. Toute l’humanité et chacun, chacune de ses membres. À commencer par les plus petits, les plus vulnérables, les sans-titres et les sans-droits. Il s’appelle aussi Emmanuel – Dieu-avec-nous. Il entend faire corps avec tous et toutes, chacune et chacun. Il n’entre pas dans un monde idéal mais bien dans celui évoqué à l’instant : il naît pauvre, dans un pays occupé et dans un peuple qui cherche un nouveau souffle spirituel. Il n’aura comme arme que son humanité, corps et âme. Il aura comme armes ses mots et son art de la rencontre. Sa détermination aussi lorsqu’il prendra résolument la route de Jérusalem pour y affronter les autorités d’occupation et les autorités religieuses en place. À Jérusalem, il donnera sa vie. Par amour. Comme la lumière, l’amour est têtu. Et puissant. Amour du Seigneur qui ne se résout pas à laisser le monde aller à sa ruine ni le cœur de l’homme aller à sa perte. Amour de ceux et celles qui s’essayent à l’art d’être disciples, qui accueillent dans leur vie la lumière de l’Évangile pour contrer les puissances de la nuit en eux-mêmes et autour d’eux.
Non, la fête de Noël n’est pas frappée d’inanité par les trop nombreuses nuits de notre humanité. Tout au contraire : sa lumière a vocation à croître et à défaire la nuit. Elle rayonnera dans nos célébrations à Saint-Eustache, dans les réjouissances dans nos foyers et nos cercles d’amis, dans nos gestes d’hospitalité et de solidarité. Toute la force de l’Évangile authentiquement vécu est là.
Chers paroissiens et paroissiennes, chers amis et amies de passage, c’est de tout cœur que je souhaite à vous-mêmes et à tous ceux et celles qui vous sont chers un vrai joyeux Noël 2022 et, d’ores et déjà, une belle année 2023 sous le signe de l’espérance qui ne déçoit pas.
Yves Trocheris, curé de Saint-Eustache,
Jacques Mérienne, Gilles-Hervé Masson, Romain Drouaud,
Gérard Bénéteau, Jean-Marie Martin, Patrice Cavelier, prêtres et diacre à Saint-Eustache