Première lecture du lundi 6 avril 2020
Voici mon serviteur que je soutiens,
mon élu en qui mon âme se complaît.
J’ai mis sur lui mon esprit,
il présentera aux nations le droit.
Il ne crie pas, il n’élève pas le ton,
il ne fait pas entendre sa voix dans la rue ;
il ne brise pas le roseau froissé,
il n’éteint pas la mèche qui faiblit,
fidèlement, il présente le droit ;
il ne faiblira ni ne cédera
jusqu’à ce qu’il établisse le droit sur la terre,
et les îles attendent son enseignement.
Ainsi parle le Seigneur Dieu
qui a créé les cieux et les a déployés,
qui a affermi la terre et ce qu’elle produit,
qui a donné le souffle au peuple qui l’habite,
et l’esprit à ceux qui la parcourent.
“Moi, le Seigneur, je t’ai appelé dans la justice,
je t’ai saisi par la main, et je t’ai modelé,
j’ai fait de toi l’alliance du peuple,
la lumière des nations,
pour ouvrir les yeux des aveugles
pour extraire du cachot le prisonnier,
et de la prison ceux qui habitent les ténèbres.”
Isaïe 42, 1-7
Méditation
L’entrée dans la Grande semaine, le moment le plus important de l’année liturgique, est prolongée par les lectures de ce jour. Dans les circonstances que nous traversons avec nos frères et sœurs d’autres Églises et d’autres pays, la méditation des Écritures prend une importance renouvelée, tandis que nous sommes momentanément privés des éléments habituels de la vie liturgique.
Alors que la fête des Rameaux d’hier a fait se succéder l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem et sa condamnation, sa passion et son exécution, le premier des jours que l’on appelle « saints » nous permet de méditer sur un passage déterminant du livre d’Isaïe que des générations de chrétiens ont lu en y voyant l’annonce du Christ. En réalité, comme ce fut le cas pour de nombreux passages de l’Ancien Testament, les premiers chrétiens y ont puisé les éléments qui les aidaient à rendre compte de leur foi pascale : celui qu’ils reconnaissent comme Messie est aussi celui qui est mort sur la croix avant d’être ressuscité par Dieu.
Ce scandale de la croix, particulièrement difficile à expliquer, apparaît très gênant dans toute présentation commerciale de la foi chrétienne, où l’on insistera à juste titre sur la joie et sur la plénitude de vie tout en oubliant le passage par la croix. Toute une partie de la prédication contemporaine, non seulement dans certaines Églises évangéliques mais parfois dans l’Église catholique, entend coller au mieux à nos attentes d’une vie comblée au point d’oublier les ambivalences des désirs humains. Ce marketing ecclésial, qui tend à réduire la vie chrétienne au souci de soi, constitue un vrai danger pour l’authenticité de la nouveauté du christianisme, de la même manière qu’un certain dolorisme a cherché à assurer autrefois une place d’autorité sociale voire politique de l’Église.
Loin de chercher à prendre le pouvoir dans les sociétés ou à mystifier des êtres humains fatigués, les premiers chrétiens, ceux-là mêmes qui ont vu leur existence bouleversée par la rencontre du Ressuscité de Pâques, ont tenté de comprendre ce renversement de la mort en Jésus-Christ. Et c’est en s’appuyant sur les traditions reçues d’Israël qu’ils ont trouvé comment rendre compte de cette transformation que Dieu inscrit dans l’histoire humaine accomplissant et dépassant les promesses faites à nos pères dans la foi. Grâce au témoigne du peuple d’Israël jusqu’à aujourd’hui, nous savons que Dieu agit avec puissance dans l’histoire, en suscitant un serviteur qui devient « lumière des nations ». Grâce au Christ, cette promesse faite à Israël est accessible à tous les peuples. C’est la grâce du baptême que nous allons renouveler samedi soir – d’une manière très différente cette année – en recevant la mission de servir cette vie nouvelle que Dieu propose à tous.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire à Paris
Visuel : Fresque de Giotto représentant l’entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem.