Visuel : L’Ascension par Giotto
Deuxième lecture du jeudi 21 mai 2020
Daigne le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père de la gloire, vous donner un esprit de sagesse et de révélation, qui vous le fasse vraiment connaître ! Puisse-t-il illuminer les yeux de votre cœur pour vous faire voir quelle espérance vous ouvre son appel, quels trésors de gloire renferme son héritage parmi les saints, et quelle extraordinaire grandeur sa puissance revêt pour nous, les croyants, selon la vigueur de sa force, qu’il a déployée en la personne du Christ, le ressuscitant d’entre les morts et le faisant siéger à sa droite, dans les cieux, bien au-dessus de toute Principauté, Puissance, Vertu, Seigneurie, et de tout autre nom qui se pourra nommer, non seulement dans ce siècle-ci, mais encore dans le siècle à venir. Il a tout mis sous ses pieds, et l’a constitué, au sommet de tout, Tête pour l’Église, laquelle est son Corps, la Plénitude de Celui qui est rempli, tout en tout.
Éphésiens 1, 17-23
Méditation biblique
La fréquentation de la liturgie de nos frères et sœurs des Églises orientales (orthodoxes comme catholiques) nous aide à mieux comprendre la nature profonde du rassemblement eucharistique des chrétiens, ce qui prend encore plus d’importance alors que nous en sommes privés depuis le confinement mi-mars. Loin d’être un culte domestique que présiderait uniquement le père de famille, l’eucharistie dominicale est une action de toute l’Église qui nous permet d’anticiper la pleine communion avec Dieu et toute sa création. Particulièrement en ce jour d’Ascension, la célébration de l’eucharistie nous fait lever les yeux, et nous permet d’expérimenter un avant-goût du royaume de Dieu. Plus qu’en Occident, la liturgie orientale aide vraiment à percevoir ce ciel sur la terre, tout en sollicitant nos sens bien humains que sont l’odorat, la vue, l’ouïe et même le toucher.
Or, dans ce passage d’Éphésiens, comme dans bien d’autres passages de la Bible, l’auteur utilise les représentations politiques pour comprendre cette vie divine, en particulier quand il dit que le Père fait siéger son Fils ressuscité à sa droite. De plus, ce dernier met « sous ses pieds » toutes les puissances terrestres, à commencer par les princes, dont l’autorité provisoire et limitée est seulement déléguée. Tout le monde sait bien que le ciel ne sera pas simplement la cour d’un satrape oriental, mais plus que le cadre familial cette image politique permet de saisir la nouveauté de la réconciliation offerte en Jésus-Christ. La résurrection du Christ n’est pas la reconstitution d’une famille idéale mais la convocation d’un peuple comme le montre le livre des Actes des Apôtres que nous lisons tout au long du temps pascal. Les premiers siècles du christianisme voient la famille de Jésus s’effacer définitivement au profit d’une Église constituée des hommes et des femmes que Jésus ne craint pas de considérer comme ses frères et sœurs.
Il ne faut donc pas se leurrer sur le vocabulaire politique ainsi mobilisé, alors que nos désirs blessés risquent toujours de vouloir confisquer toute forme de puissance à leur profit. Le pouvoir de l’action divine se déploie à la hauteur de la disponibilité des personnes qui peuvent l’accueillir, tel l’aumônier qui, dans l’armée, a toujours le grade de celui ou de celle à qui il parle. Face à des principautés, puissances et seigneuries qui se déploient avec violence dans l’histoire humaine et qui trouvent en nous de subtiles complicités, le renversement de la résurrection les dévoile et les contredit, en manifestant qu’elles conduisent toujours à la mort de l’innocent, tandis qu’elles ploient ultimement devant le triomphe du Christ. Au contraire, face aux personnes qui accueillent le renversement de la mort en mobilisant les « yeux du cœur », cette puissance divine vient susciter la sagesse, l’espérance et la force d’aimer.
La profonde transformation que la foi chrétienne déploie dans l’histoire, dont la liturgie est un témoin modeste, tient d’abord à la découverte de la puissance authentique de Dieu, qui élève les humbles et renverse les puissances. Son lieu de plus grande vérification tient au souci du corps et des corps, du corps du Christ qu’est l’Église et des corps que sont les personnes en situation de fragilité. Honorer la chair de l’humanité blessée est le seul lieu d’effectuation de la liturgie tout en sauvant la foi du risque de la gnose qui préférera toujours les puissances illusoires.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire à Paris