Nous lisons aujourd’hui et demain dans l’évangile de Matthieu deux extraits d’un très bel épisode présentant la rencontre entre Jean-Baptiste et Jésus (Mt 11, 7-19 quasi identique dans Lc 7, 24-35). On y voit Jésus observer et admirer son cousin qui prophétise avec virulence et propose à ceux qui sont touchés et veulent changer de vie le rite du baptême. Au fond Jean réalise ce que l’on attendait du Messie, verbe et rite, mais Jésus comprend que ce n’est pas du tout comme ça qu’il va faire lui-même. Il ne fera pas venir les gens à lui dans le désert, il ira vers eux dans leurs villes et leurs villages ; il ne s’adressera pas uniquement au peuple d’Israël mais aussi aux peuples alentour ; sa prédication ne sera pas culpabilisante mais apaisante ; il ne proposera pas de rite ni de liturgie sinon de partager le pain et de servir les pauvres. Un peu plus tard quand Jean sera en prison il exprimera sa surprise et son incompréhension : « es-tu celui qui doit venir ? (Mt 3, 1-6) » Pour lui répondre Jésus évoquera non pas ce qu’il fait qui est banal, mais les signes qui en résultent : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les sourds entendent et les morts se réveillent… » Certes Jésus a sans doute prêché, mais il a constamment fuit la foule, et parlait surtout « en famille » avec ses amis. La première église des apôtres continuera cette manière de vivre intime, mais peu à peu en se développant elle retrouvera les dimensions prophétiques et rituelles de Jean. Ces deux formes d’église, l’une davantage institutionnelle et identitaire, et l’autre davantage profane et humanitaire, nous les connaissons encore aujourd’hui, elles cohabitent dans nos paroisses, et au fur et à mesure que notre société se déchristianise, ces différences provoquent des tensions qui risquent de nous entraîner jusqu’à la rupture. Quand on demande à Jésus ce qu’il pense de Jean il est très clair : « Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ». Jésus aime et admire Jean, mais là n’est pas la question : « cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui ». Cela vaut pour nous, ce n’est pas ce que nous sommes et ce que nous faisons qui construit le Royaume de Dieu, c’est le Royaume de Dieu qui fait de nous ce que nous devons être et ce que nous pouvons réaliser.
Illustration du père Jacques Mérienne