mercredi, 1ère Semaine de l’Avent

2 décembre 2020

Méditation du frère Gilles-Hervé Masson o.p

Is 25, 6-10a  / Ps 22 (23)  /  Mt 15, 29-37


 

Je vous livre ici, comme méditation, le texte de l’homélie que j’ai assuré pour ce nous. Cela vous expliquera le style plus oral qu’écrit du propos.

 

Nous continuons notre démarche d’Avent et j’espère que nous y progressons, petit pas après petit pas. Comme vous le voyez, on se promène pas mal dans Isaïe : au chapitre 11 hier et aujourd’hui au chapitre 25 ; hier dans l’Évangile selon saint Luc, aujourd’hui dans l’Évangile selon saint Matthieu.

 

Juste un tout petit flash-back sur ce que nous entendions hier justement dans le livret de l’Emmanuel, lorsque déjà émergeait cette figure du Messie à venir qui sera de la descendance de David. On lisait alors ce poème messianique et je vous partage simplement ce que précise et condense une note qui est rattachée du chapitre 11 du livre d’Isaïe : « Ce poème messianique précise certains traits essentiels du Messie à venir : il est de souche davidique ; il sera rempli de l’esprit prophétique ; il fera régner entre les hommes la justice, reflet terrestre de la sainteté du Seigneur ; il rétablira la paix paradisiaque, fruit de la connaissance du Seigneur. » Voilà quelques traits, et c’est dit en très peu de mots, mais tout de même nous avons là matière à beaucoup méditer sur la richesse de cette figure du Messie.

 

Mais en voyant les traits qui lui sont assignés, nous voyons bien qu’il est question essentiellement pour ce Messie de faire le bien. Lui qui sera rempli de l’esprit prophétique, bien sûr bénéficiera d’un esprit de la connaissance, de la connaissance du Seigneur ;  mais son œuvre, ce sera de faire régner entre les hommes « la justice, reflet de la sainteté de Dieu ». Son œuvre ce sera de « rétablir la paix paradisiaque » et tout cela « c’est le fruit de la connaissance du Seigneur ». Non pas la connaissance intellectuelle du Mystère de Dieu mis en équation ou énoncé dans de belles et suggestives formules, mais la connaissance de Dieu, c’est-à-dire l’union avec Lui, le fait de faire corps avec Lui, de faire corps avec sa volonté.

 

Je voulais juste revenir là-dessus, parce que la figure davidique du Messie, elle est très importante, c’est dans cette ligne-là que Jésus va s’inscrire, et comme on le voit encore aujourd’hui (mais on va y revenir) il est tout fait dans cette ligne, lui qui est aussi porté par l’esprit prophétique – et bien plus ! Il est tout à fait dans cette ligne d’opérer le bien, de faire le bien, de faire régner la justice, de donner la paix, le shalom, encore une fois « fruit de la connaissance de Dieu .» Le Seigneur Jésus – à un titre si particulier – bénéficie, disons davantage participe pleinement de la connaissance du Mystère de Dieu puisque c’est son Mystère. Mais cette connaissance, il vient la faire fructifier dans nos vies et autour de nous en proposant – à tout le moins en proposant – à tout un chacun de vivre selon la paix et la justice.

 

Aujourd’hui, je le disais, on est dans le chapitre 25 du livre d’Isaïe. C’est dire qu’on s’est éloignés beaucoup et on est dans un passage qui s’appelle « l’apocalypse d’Isaïe », une espèce de grande vision qui ne porte sans doute pas sur l’immédiat de l’histoire du prophète, mais sur l’accomplissement de la vie du monde ; et ce qui nous est offert-là, et c’est là un mot-clé de notre temps de l’Avent, c’est une vision d’espérance. Envers et contre tout ce que le monde peut traverser, le prophète propose un avenir d’espérance : « En ce jour-là  (nous est-il dit) le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne (le lieu où il vit, le lieu où il donne sa Loi) un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés. » Et vous pourrez lire toute la suite, en particulier ce verset : « Et ce jour-là on dira : ’’  Voici notre Dieu, en lui nous espérions et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous ; il nous a sauvés ! ‘’ »

 

Lorsque dans la page de l’Évangile de Matthieu que nous lisons aujourd’hui au chapitre 15e , nous voyons le Seigneur en action, que voyons-nous ? Nous voyons simplement un être qui manifestement a déjà une réputation puisqu’il est suivi par beaucoup de gens, par des gens qui même se tiennent longtemps avec lui. Vous avez noté sans doute cette remarque que fait Jésus lorsqu’il dit : « Mais cela fait trois jours qu’ils sont avec moi, je ne vais pas les laisser repartir à jeun, ils pourraient défaillir en chemin. » Et ce qui meut Jésus vraiment, le ressort de son action, c’est sa compassion. Comme dans la première Alliance, l’Éternel avait compassion de son peuple, ce que les prophètes n’ont cessé de dire et de redire. Et du coup, que va faire Jésus ? Il ne va pas simplement enseigner, il va essentiellement agir. L’image est intéressante : au début de la page d’évangile c’est comme si on se retrouvait au début du sermon sur la montagne : Jésus qui « gravit la montagne, et là, il s’assit ». Et ensuite, ce que l’on nous décrit, ce n’est pas un enseignement mais c’est un mouvement vers Jésus. Et Jésus va accueillir, si on peut dire ici, toute la misère du monde : les boiteux, les aveugles, les estropiés, les muets, « et beaucoup d’autres encore » nous dit le texte.C’est que la liste des malheureux n’est jamais exhaustive. Mais ils viennent jusqu’à Jésus, ou bien on les aide à venir, on les dépose à ses pieds, et il les guérit, et la foule nous dit-on est dans l’admiration et elle « rend gloire au Dieu d’Israël. »

 

Et vient ensuite le geste que va poser Jésus lorsqu’il va s’agir – toujours pour prendre soin des gens, parce que Jésus là est vraiment dans le concret – lorsqu’il va s’agi de ne pas les laisser repartir à jeun pour qu’ils ne tombent pas dans les pommes. Et pourtant ici on voit bien que Matthieu nous met en présence d’un épisode qui est un épisode eucharistique. Il s’agit de nourrir ces gens d’une nourriture réelle, concrète, qui va leur permettre d’aller de l’avant, et la nourriture eucharistique, c’est équivalemment la même chose (le « pain des anges » comme on l’appelle parfois), le pain eucharistique, c’est essentiellement cette Parole de Dieu qui nous est donnée, cette Parole de Dieu qui est le Verbe fait chair Lui-même. Ce ne sont pas des mots que nous recevons, c’est la personne du Seigneur Jésus Lui-même que nous recevons, qui se fait nourriture, qui se fait notre force, qui se fait notre énergie, notre « carburant » (le mot est un peu vulgaire peut-être …) pour que nous puissions marcher dans la vie.

 

Et vous aurez repéré ce schéma que les disciples ont déjà vu : le Seigneur qui prend … qui prend quoi ? Qui prend ce qu’on lui donne. Qui rend grâce, qui partage, qui fractionne, et qui ensuite distribue ou fait distribuer. L’eucharistie pour nous, c’est un geste très précis, c’est ce qui se passe autour de l’autel dans nos églises, c’est ce geste dont nous avons souffert d’être privés pendant quelques semaines et même, on peut le dire, quelques mois cette année. Néanmoins, la logique profondément eucharistique de l’Église, eh bien, elle n’est pas enclose dans ces moments-là. Ces moments de célébration de l’eucharistie autour de l’autel, ils sont sources et sommets de toute la vie qui peut se déployer à partir du geste de l’eucharistie qui est toujours le geste du Seigneur qui prend soin des gens tels qu’ils sont, et là où ils en sont, au titre de sa compassion. Aujourd’hui peut-être qu’on dirait davantage « sympathie ». La compassion c’est la même chose en latin cum-pati : « pâtir avec », sun-pathein …  : « pâtir avec », faire sienne littéralement la souffrance ou la peine ou le besoin d’autrui pour essayer d’y répondre. Et d’y répondre avec quoi ? Eh bien, avec les moyens que l’on a, et à chaque fois que Jésus a posé des gestes de partage comme ça, et de commensalité, il a simplement demandé aux apôtres, non pas de faire des miracles, mais d’apporter ce qu’ils avaient. Et on fera avec ce qu’ils apporteront : un petit peu de pain, un petit peu de poisson, et finalement … et finalement, tout le monde y trouve son compte, tout le monde est nourri.

 

Si nous traversons ce chemin d’Avent, c’est bien parce que nous avons confiance que le Seigneur vient au-devant de nos besoins et de tous nos besoins : nos besoins humains, psychologiques matériels,  spirituels, que sais-je encore… là aussi on pourrait lister à l’infini.

 

Alors puissions-nous nous exclamer avec ceux qui chantent la gloire de Dieu dans le livre d’Isaïe : « Voici notre Dieu, en lui nous espérions et il nous a sauvés ; c’est lui le Seigneur, en lui nous espérions ; exultons, réjouissons-nous : il nous a sauvés ! » Ce Seigneur que nous acclamons déjà avec joie, c’est Jésus, celui qui prend soin de ceux et celles qui viennent à lui, comme il nous invite à prendre soin, nous aussi, de ceux et celles qui viennent à nous.