Nous avons tous vus, sur des fêtes foraines ou autres lieux touristiques, des photographes ambulants qui nous invitent à passer derrière un décor, appelé passe-têtes, découpé en ovale à la bonne hauteur, pour que nous puissions y glisser notre visage ; une fois la photo faite, nous voilà transformés en Robin des Bois, Spiderman, Pierrot-Gourmand, Greta Garbo ou Quasimodo. Et notre entourage, bon public, de s’esclaffer ! Le jumeau de Thomas, le didyme, qui n’a pas d’identité déclarée, me semble être un de ces passe-têtes ou chacun peut épouser le reflet de Thomas. Car qui est ce didyme, sinon, chacun des baptisés ? Ainsi de cet autre personnage dans le récit de Luc, toujours après la Résurrection, autre disciple sans visage, autre passe-tête qui demande à être investi d’une âme : vous avez reconnu l’ami anonyme de Cléophas sur le chemin d’Emmaüs, encore un espace où placer notre tête. Et si les évangélistes avaient semé ainsi des passe-têtes pour mieux nous intégrer dans le décor des récits évangéliques, les éprouver, les ressentir, les vivre de l’intérieur ? Et nous rappeler que nous y avons notre place.
Beaucoup de croyants aiment à se reconnaître dans ce jumeau de Thomas, cet apôtre qui engendre notre sympathie car il nous rejoint dans nos doutes et nos besoins de toucher pour exprimer notre foi. Je ne crois que ce que je vois ! Réaction souvent justifiée, et de plus en plus, car les baratineurs et les fake-news nous envahissent et veulent se jouer de notre naïveté, surtout aujourd’hui sous le règne du souverain Internet, qui se transforme parfois en potentat. Mais si nous nous projetons spontanément dans la prudence et les réticences de Thomas, à l’inverse, est-ce que nous en faisons autant en ce qui concerne sa liberté ? – Comment ça, sa liberté ? – Mais oui, celle-ci n’est-elle pas visible ? Pourtant, quand tout le groupe des apôtres est bouclé, verrouillé, barricadé, Thomas, lui, n’est pas là. Où est-il ? Que fait-il ? Que pense-t-il ? Serait-il le seul à ne pas être tétanisé par la peur ? Sommes-nous – dans notre foi –, affranchis de toute peur, de toute pression, de toute obligation, de tout grégarisme, ou manipulation, pour nous offrir au Seigneur dans une foi épurée, sereine, franche, intime et vraie, libre ? Osons passer nos visages par les passe-têtes que l’Esprit-Saint a ménagé dans nos récits bibliques, il nous y réserve une place de choix.
Jean-Marie Martin, oratorien, vicaire.