Article publié par le journal La Croix des 20-21 juillet 2019
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 38-42
Méditation : « Quelle hospitalité ? »
La tentation pourrait être d’opposer Marthe et Marie, comme on oppose le « spirituel » et le « temporel », « vie active » et « vie contemplative », ou encore « la parole » et « les actes ». Dans ces oppositions, le « spirituel » ou la « vie contemplative » sont valorisés aux dépens du « temporel » ou de la « vie active », même si, dans les faits, ceux-ci sont rarement délaissés… Ces clivages peuvent d’ailleurs traverser plusieurs plans de notre existence surtout lorsque nous nous sentons tiraillés entre la multitude des sollicitations auxquelles nous cherchons à répondre, au risque de nous éparpiller, et l’aspiration à une certaine unité de vie imaginée dans la relation avec le Seigneur. De sorte que ce récit ouvre moins la porte à une répartition entre « les actifs » et « les contemplatifs », qu’à une réflexion sur une ligne de tension qui traverse peu ou prou toute existence humaine, voire la vie de l’Église de Dieu elle-même.
Au plan ecclésial, les chrétiens, y compris leurs pasteurs, peuvent se sentir partagés entre la priorité aux divers services que rend l’Église, et l’accent mis sur la méditation de l’Écriture pour que vive la Parole de Dieu. La tension est ancienne (cf. Ac, 6)… Comment ces dimensions sont-elles reliées ? De quel esprit le lien qui les relie est-il animé ? Le récit de Marthe et Marie ouvre un chemin pour vivre cette tension dans l’hospitalité offerte au Verbe de Dieu.
Même si Jésus relève que « Marie a choisi la meilleure part », le vocabulaire ne permet pas d’en conclure qu’il aurait choisi Marie contre Marthe, la seconde ayant choisi la mauvaise part. Car les « multiples occupations du service » n’ont rien de méprisables, surtout lorsqu’il s’agit de l’hospitalité, une pratique particulièrement noble dans la culture locale. Le vocabulaire est celui de la diaconia, du service et, ici, du service de l’hospitalité. À aucun moment Marthe n’est encouragée à renoncer à l’hospitalité. Reste qu’elle pratique l’hospitalité de telle manière qu’elle éprouve une forme de solitude, voire d’isolement. Au lieu d’en ressentir paix et joie, les fruits de l’Esprit, elle éprouve un sentiment d’agitation, de désordre et en vient à récriminer contre sa sœur et contre leur hôte.
Puisque le Seigneur ne méprise pas les occupations du service rendu par Marthe, mais son agitation, la « meilleure part » choisie par Marie est moins à chercher du côté de l’activité, que du côté de son attitude. La « seule chose » nécessaire est l’écoute de la parole de Dieu, incarnée par Jésus de Nazareth, médiation pour discerner la réalité de la présence de Dieu dans la vie du monde. Pratiquer l’hospitalité est une chose. Pratiquer l’hospitalité en écoutant la parole de Dieu en est une autre. Marie pratique l’hospitalité en incluant l’hospitalité accordée à la Parole de Dieu.
« N’oubliez pas l’hospitalité : elle a permis à certains, sans le savoir, de recevoir chez eux des anges » affirme la Lettre aux Hébreux en référence à l’hospitalité d’Abraham et de Sarah à Mambré (Gn 18). L’écoute hospitalière de la Parole de Dieu élargit d’emblée l’hospitalité à la dimension universelle du projet de Dieu pour l’humanité : la rassembler, sans autre critère de préférence que la foi au Christ qui bouscule toute frontière, y compris confessionnelle.
Plutôt que d’opposer « spirituel » et « temporel », cet épisode fait de la gestion du temporel l’indicateur de l’Esprit qui anime les disciples de Jésus. Ces dernières années, des études pointent un durcissement des cœurs face au devoir d’hospitalité envers les migrants ou les personnes qui souffrent de la montée de la pauvreté. Le pape François le sait, lui qui rencontre une forme d’incompréhension, voire de résistance parmi les chrétiens, lorsqu’il appelle les occidentaux à « une grande responsabilité dont personne ne peut s’exonérer si nous voulons achever la mission de salut à laquelle le Seigneur lui-même nous a appelé à collaborer. » Une responsabilité qui nous renvoie à notre pratique de l’hospitalité.
François Picart, prêtre de l’Oratoire.
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