A l’occasion d’un Conseil paroissial, Georges Nicholson et Patrice Cavelier nous avaient proposé de réfléchir sur notre liberté. Une réponse m’était venue spontanément à l’esprit : « nous avons tous la liberté de sourire »… Il n’y a pas très longtemps, j’ai usé de cette liberté en souriant spontanément à un couple croisé au cours d’une promenade. L’un des deux a immédiatement  demandé à l’autre, sans même me regarder : «  Tu la connais ? »…faudrait-il donc se connaitre pour se sourire ?

Disparu des représentations chrétiennes à partir du Ve siècle, le sourire réapparaît  avec la sculpture gothique pour retrouver et exprimer sa spiritualité, reflet de la beauté et de la vertu. C’est ainsi, pour prendre un exemple,  que dans la cathédrale de Reims, on trouve de  nombreuses statues représentant des anges,  le sourire aux lèvres, le plus célèbre d’entre eux étant l’Ange au sourire, sculpté vers 1240. Les peintres quant à eux, attribuent à leur tour aux visages sacrés un sourire qui devient le symbole de la réconciliation de l’homme avec Dieu, le retable d’Issenheim peut en être un très bel exemple.

Les psaumes et les chants nous incitent souvent à manifester notre joie et mieux encore « à crier, à exulter de joie ». Les termes sont forts. Et pourtant… J’entends encore   l’aumônier de mon lycée, le Père Caryl, nous citer régulièrement cette phrase que Nietzsche aurait prononcée en voyant des paroissiens sortir de la messe : « Je croirais en Dieu si les chrétiens avaient l’air un peu plus sauvés. » Le sourire serait-il une denrée rare dans l’Eglise ?

Evidemment, nous n’avons pas tous les jours envie d’exulter de joie, mais rien ne nous empêche d’esquisser un sourire ou de répondre à celui qui nous est adressé. Offrir un sourire, c’est un cadeau à autrui qui, même dans sa fugacité, exprime une reconnaissance de son existence et qui illumine bien souvent le visage le plus fermé. Le philosophe Emmanuel Levinas évoquait quant à lui ces formules de politesse qui peuvent tout à fait provoquer un sourire reconnaissant : « Après vous…Je vous en prie ». Il écrit : « … l’humain commence avec le souci de l’autre. Je dis souvent que la grande sagesse de l’homme est donnée par la formule « Après vous, Monsieur ». Céder le pas à celui qui est en face, c’est répondre à l’appel que je lis sur son visage. L’autre est d’abord ce visage qui me dit d’emblée ma responsabilité à son égard ».

«  Soyez toujours dans la joie » nous recommande saint Paul. Entre celui qui donne et celui qui reçoit, l’échange d’un sourire manifeste et transmet toujours dans une réciprocité joyeuse tout le mystère et la richesse de la présence de Dieu en nous.

 

Françoise Paviot, membre du collège visuel de Saint-Eustache.